Ingénieur teste une carte mere

Seconde vie et sobriété numérique tous les acteurs ont un rôle à jouer

Au-delà des obligations liées à la gestion de la fin du cycle de vie des équipements, la réutilisation ajoute une valeur. Pour sensibiliser davantage à ces enjeux, l’implication des fabricants, grossistes et revendeurs est essentielle.

Mai 2022
Par Frédéric Bergonzoli

En réponse à l’impact désastreux de la mise au rebut sauvage du matériel, des directives européennes imposent, depuis vingt ans, une gestion rigoureuse de leurs déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). Ces directives transposées en droit français depuis une quinzaine d’années se heurtent à un constat, dans l’Hexagone comme ailleurs : moins de 20 % des DEEE sont tracés, collectés et recyclés ; tandis que près de 90 % des organisations traitent moins de 10 % de leur matériel IT. Autre information livrée par les études¹, une entreprise sur deux déclare suivre une stratégie de durabilité à son échelle, mais seulement 18 % se sont fixé des objectifs et des délais. En outre, près de la moitié des entreprises estime que le manque d’outils, de normes et de classements pour évaluer l’empreinte carbone du numérique, s’avère d’autant plus un obstacle qu’elle ne possède pas l’expertise requise pour la mise en oeuvre d’une informatique durable.

Portrait de Élise Crunel - Evernex

« Accompagner et aider les entreprises à relever le défi en leur donnant les clés d’analyse du cycle de vie du matériel »

Élise Crunel, responsable Qualité, sécurité, environnement et Responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise, Evernex

PARTICIPER AU CHANGEMENT DE PARADIGME ÉCONOMIQUE

« L’impact environnemental du digital est équivalent à celui de la flotte internationale de camions, et au double de celui de la marine marchande. Cela ne va évidemment pas dans le bon sens, il faut aider et accompagner les entreprises à relever ce défi écologique. Avant tout en leur donnant les clés d’analyse du cycle de vie du matériel qu’elles exploitent, qui passe par l’extraction des ressources nécessaires à fabriquer ce matériel, son assemblage et son transport. Trois phases qui correspondent à 80 % des émissions de CO2 du cycle de vie. Viennent ensuite dans ce dernier, l’utilisation du matériel, dont l’impact n’est pas à négliger en termes de consommation électrique, mais surtout le recyclage et ses répercussions environnementales, avec seulement 17 % du matériel en fin de vie, pris en charge par une filière DEEE. Si on ajoute le caractère non renouvelable des ressources, dont les prix ne tiennent pas compte, on comprend que le cap est intenable », explique Élise Crunel, en charge de la QSE et de la RSSE chez Evernex. En conservant le plus longtemps possible en état de marche les serveurs de ses clients grâce à des pièces de seconde main, tout en développant son activité de collecte et de démantèlement pour récupérer des ressources propres à allonger la durée de vie des équipements, ce spécialiste de la maintenance d’infrastructures entend, à son échelle, participer au changement de paradigme économique. Une opposition entre deux modèles qui s’invite dans la gouvernance des entreprises : l’achat systématique de matériel neuf d’un côté, la réutilisation de l’autre. Dans l’adoption d’approches plus vertueuses, tous les acteurs de l’IT ont un rôle à jouer. À commencer par les constructeurs et autres manufacturiers dont on attend des offres éco-conçues et plus robustes en termes de pannes. Même si certains ont été plus précoces que d’autres, nombre de fabricants déclinent une charte RSE qui les engagent sur une voie écologique. Des tentatives de verdissage ou greenwashing subsistent mais sont débusquées de plus en plus rapidement par les institutions et associations en charge de déterminer l’empreinte carbone des industriels ainsi que leur engagement sociétal.

USAGER, MARCHÉ ET FINANCE ACCENTUENT LA PRESSION

De plus, dans un monde où le numérique ne cesse de croître, l’injonction des marchés, des milieux financiers et des consommateurs à réduire l’impact environnemental est une pression difficile à ignorer. Sans parler de la loi Agec qui prévoit que 20 % au minimum des dépenses des entreprises en équipement IT sont consacrées à des biens issus de la réutilisation. Cependant, ces avancées ne freinent pas la logique de la régulation. Si l’engouement pour les produits reconditionnés ne se dément pas, la progression du marché de la seconde main pourrait amener les fabricants à produire moins, et fatalement, enrayer l’essor de l’occasion en réduisant l’approvisionnement en produits neufs. Et pour complexifier les approches, les données de l’équation devraient encore changer compte tenu de la raréfaction des matières premières. Les acteurs impliqués dans le reconditionnement revendiquent une grande efficacité dans leurs activités. « Nous assurons nous-mêmes la collecte, rapatrions le matériel dans nos locaux et réalisons des tests de qualité portant sur des milliers de systèmes ou composants informatiques. Nous parvenons à réemployer 98 % des éléments consitutant les data centers que nous démantelons. En général, les batteries ou les consommables ne sont pas réutilisables. Nous confions alors ces composants sans valeur à des sociétés de recyclage pour leur faire suivre une filière classique de DEEE. Idem pour le reconditionnement des PC portables », indique Sébastien Guerrier, directeur commercial de Techbuyer France.

Portrait de Bastien Lolli - Itancia

« Les revendeurs manifestent leur intérêt pour la valorisation et la destruction des DEEE par les circuits réglementaires »

Bastien Lolli, responsable des ventes, Itancia

GARANTI ET MOINS CHER

Pièces maîtresses du business, les sources d’approvisionnement se multiplient à mesure qu’un nombre croissant d’organisations prennent conscience de l’empreinte carbone de leurs équipements IT, alors qu’elles s’en débarrassaient jusqu’ici sans vraiment se soucier des circuits de fin de vie. Ces matériels revêtent une valeur monétaire résiduelle qui intensifie la concurrence entre les reconditionneurs. « La collecte s’effectue à travers notre réseau bâti voilà trente ans. Nos sources principales proviennent d’opérateurs, d’intégrateurs qui font évoluer des parcs installés, ou de brokers, situées en priorité en France de façon à favoriser les circuits courts. Mais parfois, l’approvisionnement se fait à l’international. Deux axes intéressent les partenaires et les clients finaux dans la reprise : la valorisation et la destruction DEEE à travers des circuits réglementaires. Ces services sont proposés à nos revendeurs, mais tous n’ont pas la même appétence même si on constate un intérêt grandissant. En tout cas, nous les accompagnons au plan marketing ou commercial, et allons jusqu’à détecter des opportunités chez le client final avant de passer la main à notre channel », souligne Bastien Lolli, responsable des ventes chez Itancia. Non seulement le matériel récupéré par ces professionnels est remis à neuf mais son usage bénéficie d’une garantie d’un an, voire de trois années. Et son prix est bien sût revu à la baisse : 30 % en règle générale. À eux deux, les facteurs garantie et tarif expliquent l’attrait pour le reconditionné. « Qu’il s’agisse de smartphone, de laptops, de PC, d’adaptateurs secteur, de baies ou de box Internet, les processus de nos quatre sites français se ressemblent à peu près tous : collecte avec tri pour déterminer la pertinence du reconditionnement ou l’envoi direct vers les DEEE [on récupère encore des Minitels !] ; effacement de données ; mises à jour logicielles ; diagnostic fonctionnel par tests humains ou robotisés ; rénovation esthétique », souligne le directeur Qualité sécurité environnement, chez Ingram Micro Commerce & Lifecycle Services, Didier Moiroud.

ESTIMER LE POTENTIEL PAR TRAITEMENT AUTOMATISÉ

Dans les circuits B2B, les smartphones de seconde main restent en tête des ventes, avec de grandes flottes de terminaux mobiles qui ne demandent qu’à changer d’entreprise. Le segment est tellement concurrentiel que les spécialistes se font régulièrement racheter par plus gros qu’eux. C’est le cas de Tech Data qui a mis la main sur CMR (Corporate Mobile Recycle) voilà trois ans. Il récupère et traite dans son centre logistique situé dans le Limousin, entre autres, les mobiles d’Orange. « L’activité de reconditionnement est centrée sur les smartphones mais elle a vocation à s’élargir à tout notre catalogue, avec des efforts portés en priorité sur la partie PC et serveurs. Notre plate-forme permet à nos revendeurs de valoriser le matériel à l’unité ou sous forme de parc, et d’organiser aussi la collecte chez le client final. Nous proposons à nos partenaires un processus totalement dématérialisé pour leur simplifier l’administratif. Notre site marchand accueille depuis peu une “boutique verte“ dédiée aux produits écoresponsables conçus par les fournisseurs : c’est un grand succès auprès nos partenaires, et une preuve de la maturité du marché français », explique Pascal Oualid, Sales Marketing Operation Director France chez Tech Data. Dans cette dynamique, certains revendeurs ont créé leur atelier de réparation, et démarré leurs activités par les mobiles. Le reconditionnement des PC et des data centers, lui, est une étape nécessitant davantage de moyens et d’expertise, car ces matériels sont composés de multiples éléments dont il faut évaluer le potentiel de réutilisation. Une opération à réaliser avec une chaîne de traitement automatisé.

Portrait de Pascal Oualid - Techdata

« Le reconditionnement va s’élargir à tout notre catalogue, avec des efforts particuliers sur les PC et les serveurs »

Pascal Oualid, Sales Marketing Operation Director France, Tech Data

1 Enquêtes menées par Capgemini
et le GESP (Global E-waste Statistics Partnership).

RECYCLER SOI-MÊME OU TRANSFÉRER SA RESPONSABILITÉ AUX ÉCO-ORGANISMES ?

Le dispositif de responsabilité élargie du producteur (REP) a pour objectif d’agir sur tout le cycle de vie des produits : écoconception, prévention des déchets, allongement de la durée d’usage, gestion de fi n de vie. Pour s’acquitter de leurs obligations selon le principe de pollueur payeur, les fabricants ont le choix de faire appel à des structures collectives à but non lucratif, appelées éco-organismes, ou de former leur propre système de collecte et de traitement. Ces entités et les systèmes individuels répondent à un cahier des charges défi ni par le ministère de l’Écologie. Dans la plupart des cas, les producteurs de DEEE transfèrent leur responsabilité à ces éco-organismes qui gèrent alors le gisement de déchets, passent des appels d’offres et contractualisent directement avec des opérateurs de gestion des rebus. Ecologic et Ecosystem sont les principaux éco-organismes français agréés qui prennent en charge les DEEE en provenance du secteur de l’IT.

LE CONTRÔLE AUGMENTÉ PAR LA ROBOTISATION

controle robotise

Avant de reprendre du service, le matériel IT est soumis à de nombreux traitements. C’est le cas des smartphones, dont certaines étapes de reconditionnement sont automatisées. Six robots eTASQ Motion ont, par exemple, été intégrés au sein de l’atelier de Largo, un spécialiste français de la seconde vie. Assignée à l’étape de tests, la nouvelle main-d’oeuvre est supervisée, sécurisée et entièrement programmable, indique Largo. Les robots tiennent la cadence de 20 appareils contrôlés par heure. Ils testent notamment les fonctions du toucher, de la vue et de l’ouïe à travers 37 points de contrôles mêlant connectivité, audio, boutons, capteurs, écran, caméras, batterie et sécurité. « Le robot prend en charge les tâches les plus répétitives pour que les opérateurs se concentrent sur des activités à plus forte valeur ajoutée. Un contrôle qualité par le regard humain complète celui que la machine effectue », ajoute pour conclure, le reconditionneur.

DES PROGRÈS FUTURS ÉVALUÉS EN MILLIONS DE TONNES

Capgemini dresse un sombre constat dans son rapport « Sustainable IT », sur l’engagement des entreprises en matière de recyclage. Alors que l’élimination non réglementée du matériel constitue une menace pour l’environnement, 89 % d’entre elles recyclent moins de 10 % de leur informatique. En 2019, 53,6 Mt de déchets électroniques ont été générés dans le monde entier, soit une augmentation de 21 % en cinq ans. Ce volume devrait atteindre 74 Mt d’ici à 2030. Si l’élimination des e-déchets est essentielle, les niveaux actuels de recyclage sont insuffi sants : seuls 17,4 % des déchets électroniques générés en 2019 ont été recyclés. Avec ses 21 kg de déchets IT produits par an et par habitant, la France se place au même rang que les États-Unis, constate le GESP (Global E-waste Statistics Partnership).

comparatif DEEE 2019

DES DÉCHETS D’ÉQUIPEMENTS ÉLECTRIQUES ET ÉLECTRONIQUES EMPOISONNÉS

Antimoine, argent, béryllium, arsenic, cadmium, chrome, mercure, nickel, plomb sont quelques métaux parmi la cinquantaine qui entre dans la composition d’un smartphone. Tout comme ce dernier, les équipements électriques et électroniques contiennent des matériaux dangereux qui présentent une toxicité potentielle en l’absence de traitement lors du recyclage. L’Union européenne a défi ni depuis près de vingt ans le cadre de la gestion des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) par la directive RoHS (reduction of hazardous substances). Celle-ci impose une collecte sélective à mettre en place par l’entreprise ou un éco-organisme, et fi nancéepar une taxe d’écocontribution répercutée sur les prix des produits. Certaines ressources présentant un fort potentiel de recyclage, l’intérêt des constructeurs est de concevoir des dispositifs qui favorisent la réutilisation, tout en réduisant les déchets.

Déchets électroniques