Elisabeth Moreno

« Il y a aujourd’hui moins de femmes dans l’IT qu’il y a trente ans »

Le déficit de femmes dans les métiers de la tech s’aggrave. Femmes@numérique, la fondation que préside Élisabeth Moreno, fédère des actions sur le territoire national pour y remédier en misant sur l’éducation des jeunes, celle des parents et des entreprises.

Fév 2024
Élisabeth Moreno, présidente de la fondation Femmes@numérique - Propos recueillis par Vincent Verhaeghe avec Cassandre Deschamps

Quel est la mission de la fondation Femmes@numérique ?

Femmes@numérique a été créée sous l’égide de la Fondation de France il y a six ans. Son but est de favoriser la féminisation du secteur du numérique en soutenant et en finançant des actions en liaison avec d’autres associations, comme Numeum, le Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref) ou Talents du numérique. Des actions indispensables car, malgré ce qu’affirment les entreprises, le déficit de femmes dans le numérique est encore énorme.

Elles sont même proportionnellement moins nombreuses qu’il y a trente ans. On constate que les jeunes filles s’orientent moins vers les filières numériques. Certains chiffres sont alarmants : par exemple, elles ne sont que 2 000 au lycée à avoir opté pour la spécialité Numérique et sciences informatiques. Dans la vie active, beaucoup de femmes qui ont entamé une carrière dans l’IT n’y restent pas. C’est regrettable car, selon une étude de l’institut Montaigne, le numérique proposera 845 000 nouveaux postes d’ici à 2030 et la place de la femme en devient d’autant plus indispensable.

Est-ce un problème endémique ou spécifique à quelques secteurs ?

Tout le numérique est concerné, mais les problèmes de parité sont plus flagrants dans certains secteurs. Globalement, le ratio est d’environ 30 % de femmes, mais à des postes techniques, comme les développeurs ou les spécialistes en cybersécurité, on compte une femme sur six employés. Changer les mentalités dans ce domaine devient un enjeu national ; la France est très en retard par rapport aux États-Unis mais aussi à l’Arménie et à la Tunisie.

Côté grand public, seules 8 % des vidéos sur YouTube1 sont réalisées par des femmes et, côté professionnel, une femme qui monte une start-up aura 30 % de chance de moins d’être financée par les principaux investisseurs et les montants des fonds accordés aux fondatrices sont en moyenne 2,5 fois inférieurs à ceux accordés aux fondateurs2.

« Il faut inciter les jeunes filles à choisir les filières numériques au lycée »

Quelles solutions apporter ?

Il faut prendre le problème le plus tôt possible. C’est avant tout lié à l’éducation des jeunes filles, qu’il faut inciter à entrer dans les filières numériques. Il faut aussi éduquer les parents qui sont pris dans des schémas sociétaux traditionnels ainsi que les entreprises, y compris par la législation. J’étais plutôt contre le principe des quotas, mais si on ne les met pas en place, les changements seront lents et laborieux.

Les entreprises sont les premières à déplorer le manque de talents dans le numérique, alors elles doivent faire des efforts pour favoriser la formation et l’embauche des jeunes femmes. Plusieurs programmes ont été mis en place, comme « Tech pour toutes » pour former 10 000 jeunes femmes au numérique. Il faut encourager ces initiatives, et c’est une des missions de Femmes@numérique.

Parlez-nous de l’événement que vous organisez le 8 février ?

La fondation organise la deuxième édition des Assises nationales de la féminisation des métiers et filières du numérique3 qui se dérouleront au lycée d’État Jean-Zay à Paris. Nous y présenterons notamment le baromètre SheLeadsTech, qui mesure les progrès de la féminisation des entreprises et qui récompensera celles qui sont les plus engagées. Nous mettrons aussi en avant les initiatives dans les zones rurales et dans les régions ultramarines. Le tout sera rythmé par des conférences et des tables rondes.

1. « La femme invisible dans le numérique », rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2023.
2. Baromètre « Les inégalités d’accès au financement pénalisent les créatrices de startup », Sista-BCG, 2019.
3. assises-feminisation-metiers-numerique.fr

Bio express

Après des études de droit et une première carrière d’entrepreneuse, Élisabeth Moreno entre chez Orange en 1998 dans la partie commerciale, puis chez Dell pendant dix ans jusqu’à occuper la fonction de directrice commerciale EMEA. Elle rejoint ensuite Lenovo où elle dirige la filiale française, puis HP pour diriger la zone Afrique. De 2020 à 2022, elle prend le portefeuille de ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.