Kevin Polizzi – Président d’Unitel Group – L’intensité créatrice par excellence
Kevin Polizzi échappe à toutes les conventions. Sa façon d’agir dans le monde est aussi facile à constater que difficile à expliquer. Une vie entière ne suffirait ni à l’épuiser, ni à le décrire. Rencontre avec un personnage unique.
Mar 2023Par Pierre-Antoine Merlin, à Aix-en-Provence. Photos François Moura, andia.fr
Comment transformer une existence en destin ? C’est toute la question. Le parcours de Kevin Polizzi démarre dans les tourments, avec une santé extrêmement fragile qu’il n’y a pas lieu de détailler ici – sauf pour dire que, sans aucun doute, l’adversité lui a donné l’envie d’être, plus que d’avoir. De faire, plutôt que d’être taraudé par la bête. De ne jamais se laisser à la tentation vaine et stérile de la rumination, toujours facile. Rien n’est plus facile que se plaindre. Heureusement, chez les Polizzi, famille d’origine sicilienne implantée dans le sud de la France, la fatalité ne fait pas partie du vocabulaire.
« Je suis né en Provence en 1981, dans une famille ouvrière. Le culte de l’effort, du mérite, du travail bien fait, toutes ces qualités comptent chez nous en général, et pour moi, en particulier. Cette culture ouvrière m’a forgé. On a été heureux. Bien sûr, c’était difficile, mais je n’ai jamais manqué de rien. » Rapidement, pourtant les épreuves prennent le relais, avec des séjours à l’hôpital, à la fois fréquents et longs, et des opérations chirurgicales qui se succèdent. Logiquement, explique Kevin Polizzi avec un naturel confondant et une simplicité désarmante, « cela devient la normalité ».
Combat pour la liberté
Eh oui. Doté d’une intelligence vive et d’une insatiable curiosité, Kevin (on a vite envie de l’appeler par son prénom et de le tutoyer) emploie ses longues heures à lire, à dévorer la culture, à construire et à apprendre. Cette attitude battante « sera toujours un moteur », confie-t-il. Et quel moteur ! toujours entre la maison et l’hôpital, il s’essaie au violon, lit, apprend, réfléchit. à rebours d’un Proust qui fait une œuvre littéraire en se refermant sur son sort, lui se bat et conquiert le goût de la liberté.
Certes, il n’est pas tout seul dans son combat : les médecins, sa famille, ses amis. Kevin a un frère jumeau, à la fois différent et complémentaire, a-t-il coutume d’expliquer. « On a d’abord eu vingt ans d’éducation ensemble, puis encore vingt ans de vie professionnelle en commun… Maintenant, on aborde les vingt prochaines années en termes de vie familiale. » En attendant, Kevin Polizzi fait Polytech Marseille et se passionne en particulier pour le développement informatique.
Chez lui, toutes les portes, toutes les opportunités sont présentes, prêtes à être mises en œuvre. C’était impossible, donc il l’a fait. Ce sera une constante de sa vie. Il enrage de voir la France enkystée, encalminée. Il y revient sans cesse, comme une obsession, au cours de cet entretien. « Il faut rendre à l’entrepreneur la liberté d’action », martèle-t-il, à intervalles réguliers. Cette rencontre sonne tourne autour de thème et variations avec cette liberté chérie, citée en premier, on l’oublie trop souvent, dans ce triptyque républicain que le monde entier, paraît-il, nous envie (quoique de moins en moins).
Thecamp pour transmettre
A l’aube du nouveau millénaire, Kevin Polizzi a vingt ans. Dès l’abord, une possibilité s’offre à lui. Sa formation d’ingénieur, passionné déjà par l’informatique et les réseaux, le sert merveilleusement. « J’ai une proposition pour entrer en alternance chez Dassault. Le jour à l’école, la nuit dans le data center. »
Mais son moment de gloire, c’est la création de Jaguar Network. « Le 11 septembre 2001 », précise-t-il. D’ailleurs, sur sa page LinkedIn, la naissance de Jaguar constitue la première mention chronologique de son parcours. Une création ex nihilo qu’il va porter haut et fort pendant vingt ans. Au point de faire de cette entreprise un opérateur télécoms entièrement tourné vers le monde professionnel, avec à la clé, des services sur mesure s’appuyant sur ses propres centres de données en France, et sur ses agences de proximité.
Récemment, Jaguar a été cédée à Iliad. Son fondateur en conçoit-il du dépit ? Pas le moins du monde. Du reste, il en sera très peu question dans cet entretien. « Je n’ai pas de nostalgie, pas de mélancolie, pas de ressentiment. Je suis content d’avoir soldé. C’est bien comme ça. » C’est bien comme ça… là aussi, une formule qu’on retrouve très souvent dans sa bouche.
Se souvenir des belles choses, et avancer. C’est la philosophie pratique de Kevin Polizzi, sa praxis, pour reprendre le vocabulaire infatué des structuralistes. Mais il ajoute à ce volontarisme une phrase énigmatique : « On gère plusieurs temporalités en parallèle. » Encore une formule mystérieuse. Que veut-il dire ? On aimerait en savoir plus, mais lui est déjà parti sur une nouvelle idée. Le voici dans les derniers lacets de l’Alpe d’Huez quand vous êtes encore au Bourg-d’Oisans. Tant pis. Ce sera pour une prochaine fois.
Au moment où il est tourné, plus que jamais, vers la réussite de ses projets et réalisations, Kevin Polizzi veut être utile, transmettre, partager. D’où le développement de thecamp, un campus conçu pour la formation, la connaissance, le partage, la veille technologique et d’usage. L’occasion pour lui de faire le point sur ce qui est accompli – et sur le vertige de la page blanche qui reste à écrire.
Mais quelle que soit la temporalité, pour reprendre ce terme qui lui est cher, une chose est certaine : ce qui compte, c’est donner l’exemple. « Un manager, avant toute chose, est exemplaire. » On sent le sérieux dans cette assertion, martelée. Il détache les syllabes, prononce les mots avec une forme de lenteur et de solennité, répète plusieurs fois la phrase avec des nuances et des inflexions différentes. Visiblement, il se vit comme manager et tient à être irréprochable, autant qu’il est humainement possible. Et de développer son propos. « Le bon manager, c’est celui qui pilote des équipes sortant des sentiers battus. »
En somme, le cadre ou l’employé n’a pas, en tout cas pas seulement, pour fonction d’obéir sans trop poser de questions. Il doit inventer, tenter, faire. à l’image de son patron. Tout en consultant son smartphone, en écrivant quelques mots, il vous écoute et répond. Au fond, il suit deux conversations. Plus, peut-être ? Puis il revient au rôle du manager. « Ce qui compte, c’est de donner l’exemple sur le terrain, pas seulement en paroles. Savoir écouter, écouter vraiment, et décider. Je crois avoir cette capacité. écouter, puis décider. Je décide en permanence. Dans mon cas, dans ma responsabilité, je dois aligner les technologies et l’organisation assortie. Ces deux éléments sont essentiels et doivent fonctionner à l’unisson d’une façon quasi constante. »
Entre mer et montagne
Résultat, Kevin Polizzi se retrouve avec la responsabilité de nombreuses entités. Unitel Group, qu’il préside, affiche une myriade d’entreprises et autant d’activités. Qu’on en juge : Unitel Cloud Services, 5G Networks, Unitel Smart Building, OuiSante, thecamp, ASP Serveur, 408, Quanta, Onelife, Axeleo, Theodora, Starfleet, BeTooBee, EVA, Medinsoft, Elax, Delage, et la liste est loin d’être close. « Tout fonctionne en symbiose. Il s’agit de travailler pour ouvrir au plus grand nombre les bénéfices de la mutation numérique et environnementale, afin de créer en dix ans un écosystème complet, autonome et réactif.
C’est pour ça que j’aime les organisations à taille humaine, elles collent mieux au projet d’entreprise. Avec elles, on est toujours dans le mouvement. Et c’est ainsi qu’on peut les diviser en structures, elles-mêmes de dimension humaine. Exemple : quand j’ai [un] carré, cela marche. Mais si dedans, je vois [un] rectangle, ça ne fonctionne pas. C’est comme au foot : il faut un ballon et marquer des buts.
Mais ce qui compte, c’est ce qui se passe en-dessous. » Il est donc logique que notre entretien se déroule sur le site de thecamp, un campus ouvert à la formation, à la connaissance et au partage. Conçu sur une colline, comme un immense golf qui irait de Marseille, la ville-monde dont il paraît si fier, à la montagne Sainte-Victoire, on sent poindre l’énergie à chaque tour de roue. Mais on perçoit aussi l’harmonie, l’harmonie reliée à la quête de l’excellence.
Certes, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, Kevin Polizzi n’a pas créé ce campus à proprement parler mais l’a racheté il y a quelques années, à la suite d’un concours de circonstances assez extraordinaire qu’il est inutile de développer ici. Mais il lui ressemble bien. Il est… fait pour lui.
Kevin Polizzi est un être tout d’intellect et de sensibilité, porté vers l’unité intérieure et extérieure, la seule qui s’acquiert par le mouvement, l’efficacité, le progrès et la relation humaine. Au sortir de cette échange verbal de plusieurs heures, on a presque l’impression de quitter un ami.
Repères
Kevin Polizzi a 41 ans. Il est marié et père de deux enfants.
PARCOURS (Sélection)
1981 Naissance, puis années de formation entrecoupées par les séjours hospitaliers. Diplômé de Polytech Marseille.
2001 Fonde Jaguar Network.
2014 Fonde Unitel Group2019 CEO et fondateur de Free Pro, qui reprend les activités de Jaguar.
2022 Président du conseil d’administration, et Chief Technology Officer de thecamp.