Humanisme et bon sens incarnés

Direct, Pierre Léonard aime avant tout comprendre pour agir. Avec une certitude, toutefois, la relation humaine et la performance sont deux faces d’une même réussite. Rencontre avec un manager concret et inspiré.

Fév 2025
Par Pierre-Antoine Merlin. Photos Jim Wallace.

Pierre Léonard, Directeur France de Philips AOC

Certaines personnes frappent au premier regard. Elles produisent une impression forte, immédiate, qui sera ensuite confirmée, ou contredite, dans le temps. D’autres êtres humains, au contraire, se dévoilent peu à peu. Comme une photo floue qui gagne en précision, en exactitude, en profondeur, à mesure que la vision s’affine. Pierre Léonard, patron de Philips AOC, appartient clairement à cette seconde catégorie. À mesure que son verbe se déploie, on acquiert l’absolue conviction que chez lui tout fait sens. L’enfance, l’âge adulte, l’évolution personnelle, la vie professionnelle et ses responsabilités toujours plus écrasantes, fonctionnent à l’aune de la simplicité et de la symbiose. Cet homme dégage une unité profonde qui n’est pas si fréquente dans le monde changeant du business, y compris, et peut-être surtout, dans celui de l’industrie numérique. Tout commence au début des années 1970, dans le nord de la France.


Je respecte toujours l’entreprise
dans laquelle je travaille. »


« Je nais à Lens, dans le Pas-de-Calais. J’ai un frère. Ma mère est institutrice et mon père commercial. Pour résumer mes premières années, je dirais que j’ai été élevé au sein d’une famille modeste et que mon enfance fut heureuse. » Muni du meilleur viatique qui soit, à savoir l’amour et l’affection, le jeune Pierre part dans la grande ville la plus proche, Lille, pour y effectuer ses études. Déjà, certains goûts s’affirment, qui s’agrégeront à sa nature propre : il aime découvrir, tenter, faire, savoir, transmettre.
Les grandes questions scientifiques, y compris celles qui débouchent sur les questions métaphysiques, l’intéressent. À dire vrai, elles le taraudent au plus haut point. « Un esprit sain dans un corps sain » complète le tableau : le sport est pour lui un puissant vecteur d’équilibre. Ainsi, il se serait bien vu professeur d’éducation physique et de sport, en particulier de ski.
Le jeune homme encore vert mange la vie. C’est un fonceur qui embrasse la science, la technique, le sport, la vente. Quoi qu’il fasse, il le fait bien.
Il fait miel de tout, pour lui-même et pour ceux qui l’entourent. C’est ainsi que, toujours dans la région lilloise, son chemin croise, un peu sans doute (mais pas seulement) par hasard, celui d’Ingram Micro. C’est la rencontre décisive.
Celle qui va entraîner l’adhésion durable de Pierre Léonard au monde de l’informatique, du business, de la vente et, de plus en plus, du management. Même si, pour l’instant, on n’en est pas là. Les contraintes légales retardent sa progression chez Ingram. Rendez-vous est pris, mais pas tout de suite.
« Le problème, c’est que je dois partir à l’armée. J’ai obtenu des sursis à répétition, mais l’armée n’est pas une option, même si je fais partie du dernier contingent avant suppression du service national. Je finis par être obligé d’y aller. Heureusement, je peux quand même travailler pour Ingram, tout en étant sous les drapeaux. »
Il retrouve donc pleinement le groupe dès qu’il est libéré des obligations militaires. L’aventure commence.


Chacun doit être capable de prendre une décision, même pratique, en fonction du simple bon sens. »

Le respect avant toute chose

Avec Ingram, tout s’enclenche. Les idées, les impressions, les façons d’être qui l’animent depuis sa naissance trouvent ici de quoi s’épanouir et s’incarner en actions concrètes. À partir de là, les choses s’accélèrent. Les occasions et expériences sont nombreuses à se succéder : impossible, dans le cadre de cet entretien, de décrire par le menu les différentes entreprises par lesquelles il est passé et les diverses fonctions qu’il a occupées jusqu’à son entrée, il y a cinq ans, chez Philips AOC. Chacune de ces étapes a contribué à sa manière à « faire » Pierre Léonard, dans tous les compartiments de sa vie.
« Je respecte toujours l’entreprise dans laquelle je travaille. C’est quelque chose de très important pour moi. Et c’est précisément cette attitude, ce respect, qui me permet d’atteindre les objectifs que l’on m’assigne et que je m’assigne. »

Comme souvent au cours de cette rencontre, son vocabulaire est volontiers humaniste. Il est même teinté, à son insu peut-être, d’une inflexion qui se rapproche de la spiritualité.
« Je n’aime rien tant qu’apprendre. Je redonne ce qu’on m’a donné. Il est vrai que l’Évangile ne parle que de ça, même si je ne suis pas systématiquement pratiquant. En tout cas, il faut éviter l’égoïsme et la malhonnêteté. Tout cela n’est pas contradictoire avec la performance de ceux qui constituent l’équipe, bien au contraire ! J’ai envie qu’ils progressent et qu’ils aient du résultat. »

Recruter des compétences diversifiées

L’un des points forts de cet entretien concerne les grandes écoles. C’est un sujet qui est rarement abordé sous cet angle et qui lui tient à cœur. Sa position de principe est ferme.
« On n’apprend pas vraiment dans les grandes écoles, notamment dans les écoles de commerce.
L’ENA et les Mines servent à quelque chose, c’est certain, mais pour les autres, ce que je vois surtout c’est que c’est très cher et pas très pertinent,
estime Pierre Léonard. Tout est formaté. À mon avis, il s’agit surtout de faire du fric. » Il est rare d’entendre un point de vue aussi tranché.

« Depuis des années, je recrute des commerciaux. Jamais je n’ai eu de coup de foudre pour une personne sortant de ces écoles. Je recrute des profils ! C’est ce que je veux ! Le problème, c’est que je tombe souvent sur des profils identiques. Or, pour moi, il faut des compétences diversifiées. Il n’y a pas de non de principe, ce que je veux c’est du bon sens. Chacun doit être capable de prendre une décision, même purement pratique, en fonction du simple bon sens. Par exemple, pour décider dans une situation donnée s’il vaut mieux prendre l’avion ou le train. La vie professionnelle est faite de ces multiples choix qui peuvent très bien être réglés par un peu de réflexion et de raison. Et quand il s’agit de trancher une situation délicate, quelle qu’elle soit, je suis là pour débloquer ce qui bloque. »
L’humain, toujours l’humain, piloté par la raison raisonnante, une nécessité concrète pour le patron de Philips AOC. Comme pour clore ce chapitre, il a cette formule charmante et inattendue, qui traduit le lien profond qui unit, selon lui, le quotidien à l’immuable : « Attention à ne pas retirer l’âme. »

Manager par l’exemple

Pour Pierre Léonard, qui est à la fois manager, leader et source d’inspiration pour ses équipes, le choix d’un lieu n’est pas innocent.
« J’habite Bayonne, nous avons des bureaux en région parisienne, à Suresnes, mais c’est surtout un showroom, et mon équipe est en home office. Donc je bouge beaucoup. J’ai toujours bougé beaucoup. Au fond, on peut dire que mon bureau, c’est celui de mes clients. »
Cette volonté de faire bouger les lignes, de ne pas enfermer quelqu’un dans une posture, anime toute l’action de Pierre Léonard. Le temps, l’espace, l’habitude, sont déconstruits pour que chaque membre de l’équipe, y compris lui, se sente à sa place. Sa méfiance envers les écoles de commerce vient du fait que, précisément, elles éloignent de la réalité, brouillent les liens naturels qui relient les êtres.
« La relation humaine n’est pas ennemie du résultat et de la performance. C’est tout le contraire ! »

De fait, l’expérience de Pierre Léonard est multiple. Avec une constante : le succès des actions entreprises est mesurable et ne peut être accompli que par la coopération efficace des contributeurs. Le portraitisé du mois est rodé au marketing, au pilotage d’équipes, à tout ce qui concerne l’animation de la force de vente, sans oublier une solide expérience dans l’environnement B to B. Dans la plupart des sociétés qu’il a accompagnées, l’une de ses spécialités, de ses expertises, est le calcul et la gestion du P&L, autrement dit le profit and loss, les zones de profits et les zones de pertes. Il y a tout dans cet élément comptable : la précision, le résultat, l’optimisation, la nécessité de comprendre, collectivement et individuellement, avec pour seule boussole la nécessité d’agir. C’est presque une approche philosophique. Une telle praxis, comme disent les sartriens, englobe donc la totalité de la vie. Les fins dernières, sans doute, mais d’abord le sort dévolu aux fins prochaines. Par exemple, pour ce qui touche Pierre Léonard et comme beaucoup de ses pairs, la poursuite de sa carrière et, plus tard, la retraite.
« La retraite ? La quoi ? Je vais l’appeler comme ça maintenant. La quoi… Je n’y pense pas du tout. Je suis une pile. Tout est possible. Par exemple, reprendre un petit hôtel un jour. À la retraite ou pas. Ce qui me fait peur, je le reconnais, c’est l’idée de retraite, parce que derrière c’est la mort. »

Dans l’immédiat, Pierre Léonard est visiblement content de son sort. « Pour le moment, j’aime ce que je fais, j’apprends, je m’amuse, je prends du plaisir. Je ne resterais pas chez Philips si je ne m’amusais pas. Carpe diem est ma façon de voir les choses. Je profite du temps présent. J’ai toujours rebondi, je rebondirai encore. » Après deux heures d’entretien, et au moment de prendre congé, une sensation se dégage. Pierre Léonard est un dirigeant normal.
En cette époque tourmentée, où l’incertitude débouche souvent sur l’inquiétude, la normalité fait figure de rareté. Or, en économie comme dans la vie, c’est la rareté qui donne du prix aux choses et aux gens.

Pierre Léonard a 52 ans. Il est marié et a cinq enfants.

1990 : Baccalauréat section D (scientifique option bio)
1991 : Deug B – Première année
1993 : DUT Informatique
1994 : Licence de commerce
1995 : Ingram Micro – Référencement des fournisseurs et opérations marketing
2002 : Viewsonic – Création, animation et développement du réseau de distribution
2008 : Imation – Indirect Sales Manager France
2020 : MMD Monitors & Displays – Occupe différents postes à responsabilité, notamment dans la vente
Depuis novembre 2024 : Directeur France de Philips AOC

Musique : Je suis fan de musique, surtout de guitare et de rock des années 1970. Je vais voir Bruce Springsteen en concert à Marseille !
Livres : Les romans fantastiques, ceux de Stephen King par exemple. Je suis assez cartésien, j’aime toutes les sciences, jusqu’à la grande interrogation de l’univers.
Cinéma : Les sagas, par exemple les James Bond. Surtout les premiers. C’était très original pour l’époque.
Lieux : La montagne et la mer. J’ai besoin d’être proche des éléments.
Gastronomie : Ma femme cuisine, moi aussi, nos enfants s’y sont mis. Chacun a sa spécialité. Côté vin, je suis de plus en plus côtes-du-rhône et bourgogne.
Passions : J’ai passé le concours de l’Unité de recherche pluridisciplinaire sport, santé, société, car ces sujets m’intéressent beaucoup. Sinon, le bricolage.
Sports et loisirs : Je devais être prof de ski à la base. Guide de montagne m’aurait plu aussi.