
L’alliance du naturel et de la simplicité – Frédéric Serafin, Directeur général France d’Iiyama
De son enfance toulousaine à la direction générale d’Iiyama France, Frédéric Serafin incarne la diversité et l’unité profonde d’un être. Rencontre avec un homme qui se projette vers l’avant avec enthousiasme.
Sep 2024Par Pierre-Antoine Merlin. Photos Jim Wallace.
Toujours en mouvement, Frédéric Serafin demeure pourtant d’humeur égale, souriant, semblant garder du temps en réserve presque infinie pour son interlocuteur – comme si c’était la personne la plus importante au monde. Il n’est pas certain que ce soit une posture, mais plutôt une heureuse disposition de cœur et d’esprit. C’est du moins ce que l’on se plaît à croire. Le patron d’Iiyama France est du vif-argent. Il voyage sans cesse, prend des décisions quotidiennes, encourage ses collaborateurs à faire de même et ne laisse paraître aucune fébrilité. Ses origines familiales, pour le moins inattendues, y sont peut-être pour quelque chose.
« Je suis issu d’une famille italienne très modeste, qui a participé à la résistance contre Mussolini. Il y a eu des arrestations, des emprisonnements, des évasions. Finalement, la famille est arrivée en France, dans le Midi, précisément à Toulouse, où vivait déjà une forte communauté italienne. »
On sent qu’il y aurait tout un roman à écrire, un récit riche en anecdotes, en souffrances, en joies. Mais tel n’est pas le propos du jour.
En tout cas, Frédéric Serafin vient au monde dans ce milieu simple, à l’histoire riche mais pas sur le plan matériel et financier. Une trajectoire pas toujours pavée de fleurs. Pourtant, il en parle avec gratitude, reconnaissance, et, qualité rare dans le monde actuel, une vraie gentillesse. La gentillesse n’est pas une niaiserie, comme on le croit souvent. C’est une élégance vis-à-vis des autres comme à l’égard de soi.

Ma conception du management
est très liée à mon parcours humain, en particulier au sport.
« J’ai eu une enfance modeste et heureuse. C’était une vie basique, on m’a inculqué de bonnes valeurs.
Des valeurs saines. »
Adolescent, il éprouve des envies multiples : il voudrait jouer de la batterie, il est tenté par le dessin au point d’envisager une carrière de designer à l’aide de la DAO/CAO, et bien d’autres choses encore. Son énergie, déjà, l’entraîne dans des directions qui n’iront pas toutes à terme. Mais le goût des autres et celui de faire l’animent. Le destin va décider pour lui, d’une certaine manière. Car, au moment où il entame une classe préparatoire dans le but d’intégrer HEC ou une autre grande école de commerce, une erreur administrative se met en travers de son chemin. Sa demande de sursis n’a jamais été traitée par les autorités, son dossier s’est perdu. Alors que les obligations militaires ne sont pas vraiment une option, il ne se présente pas à la convocation pour effectuer le service national. La maréchaussée vient donc le chercher pour partir en Allemagne dans un camp disciplinaire.
Heureusement, avec l’aide de ses relations et connaissances, il n’ira pas en Allemagne et embarquera dans l’aéronavale. Cette mésaventure aura des répercussions sérieuses sur son existence. Sérieuses, mais sans doute bénéfiques. Car son élan vital, déjà fort, a été trempé dans l’acier de l’adversité.
La vie active, bien nommée en ce qui concerne Frédéric Serafin, ne peut être détaillée par le menu. Il faudrait tout un numéro de l’E.D.I pour simplement nommer les entreprises où il est passé ; certaines figurent dans l’encadré « Parcours » en p. 13, mais toutes ne sont pas citées. En revanche, toutes ces organisations ont un lien avec ce qu’il est convenu d’appeler l’économie numérique, et plus spécifiquement l’informatique, les réseaux, les télécoms et Internet. Frédéric Serafin y occupe une grande diversité de postes, à commencer par la fonction commerciale. Cette connaissance parfaite du commerce, de l’informatique, des fournisseurs et des intermédiaires à haute valeur ajoutée constitue le socle de son métier. Travailler dur fonde son équilibre. Sans stress. Ce fou de vie a plus d’une corde à son arc. Il ne dépend pas de son activité professionnelle pour se trouver des occupations. Le sport y est pour beaucoup.
Avec la multiplication des normes, trop de sociétés se perdent dans l’administration et les circuits de décision.

Un management calqué sur le sport
Bien des sportifs amateurs regrettent que le monde du travail ne soit pas réglé sur la méthode expérimentée par Aimé Jacquet, l’ancien entraîneur du « onze tricolore » – exemplarité, modestie, résilience, sens de l’équipe –, sans laquelle on ne peut rien. En sportif expérimenté, Frédéric Serafin sait de quoi il parle.
« Ma conception du management est très liée à mon parcours humain, en particulier au sport. Je reste au contact des clients, et aujourd’hui encore je suis et demeure le plus possible sur le terrain. C’est ce que j’aime ! Et c’est indispensable dans mon métier. Je dois être un exemple pour insuffler un état d’esprit dans l’équipe. Compte tenu de tout ce que je viens de développer, je n’ai pas besoin d’être contrôlant : j’essaie tout simplement de trouver des gens dotés d’un profil qui correspond à ce que j’attends, à savoir la sincérité et l’honnêteté. Une fois encore, je veux faire confiance aux membres de mon équipe. » Cette façon de bien choisir en amont, pour être sûr d’avoir l’esprit serein en aval, est essentielle dans la pratique du management. Frédéric Serafin se fait fort d’expliciter son propos, que ce soit en termes de micromanagement ou, de façon plus large, à propos de l’organisation et du fonctionnement de la société.

Les formations et grandes écoles vendent du rêve
aux étudiants. À mon avis,
c’est un mirage.
Être réactif sur le marché
Pour le patron d’Iiyama France, la délégation de responsabilité doit être aussi large que possible. Une conviction qui lui tient à cœur : à plusieurs reprises lors de sa démonstration, il emploie l’assertion « je veux », sans autoritarisme, mais comme une évidence, une expression du bon sens. « Je veux que les gens prennent des décisions, qu’ils soient réactifs sur le marché. La confiance est primordiale. »
Il est vrai que son parcours de vie recèle de nombreux enseignements, tous susceptibles d’être transmis aux membres de la chaîne de valeur, son écosystème de prédilection. « Le fait d’avoir été dans le monde de la revente, petit grossiste, grossiste plus important et ainsi de suite jusqu’à un poste de direction, est évidemment très porteur. Je connais toutes les étapes depuis assistant commercial. Mais, au-delà de ces expériences extraordinairement diversifiées et complémentaires, il existe un point commun : la souplesse, la flexibilité, la réactivité. »
Chez Frédéric Sefafin, tout fonctionne en système. Sa vie personnelle, sa vie professionnelle, ses goûts, ses envies, ses convictions. D’ailleurs, au cours de cet entretien au long cours, il est sans doute celui qui a dévoilé le plus sa vie personnelle, n’hésitant pas à évoquer son ascendance, sa descendance et son rôle d’époux et de père de famille. Frédéric Serafin a un sens aigu de la famille. Marié à une Française, en l’occurrence une Toulousaine, il aime revivre ses expériences heureuses en y associant femme et enfants. Visiblement, c’est un homme d’un bloc, ouvert, détendu, qui prend les choses comme elles viennent et rayonne de projets d’avenir. C’est avec le même naturel qu’il tire de son expérience de manager des vues profondes sur le monde de l’entreprise.
« Trop de sociétés se perdent dans l’administration et les circuits de décision. Ceux-ci sont beaucoup trop longs, beaucoup trop importants. Les niveaux de contrôle sont très fournis. La multiplication des normes est telle que, dans certaines entreprises, y compris du numérique, on passe plus de temps à respecter les process qu’à produire et à faire le travail. C’est une déviation. »
À l’appui de ce constat, il nomme de grandes organisations qui se sont, selon lui, mis des boulets aux pieds en jouant à fond la carte du management par les process.
Repères
Frédéric Serafin a 57 ans.
Il est marié et père de deux enfants.
Parcours
1967 / Naissance et éducation à Toulouse.
1985-1989 / Obtention du baccalauréat. Puis d’un BTS informatique et commerce au lycée Ozenne. S’inscrit en prépa école de commerce, dans l’optique d’HEC.
1990-1994 / Enchaîne de nombreux postes dans l’informatique et les réseaux : IBM, SMT Goupil et Bull.
1995-1999 / Link International – Directeur commercial
1999-2005 / Peabird – Sales Manager
2000-2003 / Adstore – Commercial
2006-2020 / Iiyama France – Sales Manager
Depuis 2020 / Directeur général d’Iiyama France
Et l’avenir ?
Là encore, Frédéric Serafin n’élude pas les questions. Et surtout les réponses.
« Je réfléchis à l’avenir. Pour moi, l’informatique n’est pas une passion. Mon travail, c’est ce qui me permet d’assouvir, justement, mes passions à l’extérieur. Il me reste quelques années à travailler, et je veux laisser une situation favorable. Car, et c’est une chose à laquelle je tiens beaucoup, je veux rendre à Iiyama tout ce qu’elle m’a donné. Ensuite, je tournerai la page. »
Pas de mélancolie, ni de nostalgie en vue. Les époques passent, et à un rythme extrêmement rapide dans la société et l’économie numérique.
« La génération de la micro-informatique, celle dont je fais partie, est en train de disparaître. De même pour l’état d’esprit général. Il est en train de changer. On observe moins de fidélité à l’employeur, y compris et surtout chez les jeunes, qui veulent choisir, et cela provoque un turnover terrible. »
Peut-être pour la première et seule fois de cet entretien, Frédéric Serafin semble éprouver une légère déception. En tout cas, c’est une tendance qu’il remarque.
« Le problème majeur est celui de l’éducation. On explique trop aux jeunes que l’adaptabilité est reine. Et les formations payantes, souvent très chères, je pense ici aux grandes écoles, vendent du rêve aux étudiants. À mon avis, c’est un mirage. »
La décroissance, la désillusion qu’il redoute sera-t-elle au rendez-vous ? Et si oui, à quel terme ? Difficile à dire dans cette circonstance fondée sur l’auscultation d’un dirigeant, et non sur ses prédictions et ses craintes. Mais une telle mise en garde, venant d’un manager qui brille par sa sincérité et sa gourmandise de vivre, vaut d’être écoutée. Il ressort de cette rencontre une impression de franchise, parsemée de reconnaissance et de gratitude spontanées. Autant de singularités sympathiques qui détonnent dans l’exercice du portrait. Frédéric Serafin ne se demande jamais si ça va faire bien de dire ceci ou cela, quitte à inventer, à seule fin de passer pour un homme cultivé et dégagé des contingences. Dans ses réponses, il ne roule pas avec le frein à main.
Il est, et c’est déjà beaucoup.
J’AIME
Musique
Je suis le fils d’un musicien semi-professionnel : mon père était saxophoniste.
Je voulais faire de la batterie. On est tous musiciens dans la famille !
Livres
Les essais politiques et les livres d’actualité.
En particulier les enquêtes sur les sectes, mafias, templiers, francs-maçons et financières.
Cinéma
L’amour du « grand cinéma », des films qui impressionnent.
Lieux
L’Ouest américain. J’ai toujours envie d’y revenir. D’ailleurs, j’y repars avec toute ma famille.
Passions
La photographie, mais je manque de temps. Une fois retraité, je m’y adonnerai, entre autres.
Sport et loisirs
Le sport, c’est ma vie.
Avec une prédilection pour les sports mécaniques et le jet-ski, qui nous a réunis, mon épouse et moi.