
Globe-trotter de sa vie
Ce manager met tout de suite à l’aise son interlocuteur. Sans démagogie ni arrière-pensée. Rencontre avec Jonathan Bourhis, qui s’efforce d’associer son entourage
à la réussite de tous. Un exemple de travail en équipe et, peut-être, une leçon de vie.
Par Pierre-Antoine Merlin. Photos Jim Wallace.
Jonathan Bourhis, Country Manager, Pure Storage France
Il est rarissime dans l’histoire de cette rubrique que les dirigeants d’une même entreprise soient interrogés à quelques mois d’écart.
C’est le cas ici, et c’est ce qui donne une saveur inédite à cette rencontre. Un grand bouleversement est-il au programme ou la continuité va-t-elle prévaloir ? La réponse est déjà inscrite dans l’observation des deux tempéraments. Dans la société Pure Storage, qui a gardé l’esprit d’une jeune pousse même si elle ne l’est plus depuis longtemps, les deux patrons de la filiale française se ressemblent assez. Sinon dans la lettre, au moins dans l’esprit. En deux mots, professionnel et sympathique. Après Hugues Heuzé, c’est au tour de Jonathan Bourhis de se prêter au jeu de l’introspection, franche et bienveillante. Il faut dire que le nouveau portraitisé a une particularité jamais rencontrée jusqu’alors : il a vécu son enfance, son adolescence et sa vie de jeune homme à l’étranger. Et jamais au même endroit ! Seule sa naissance porte la marque de l’Hexagone.
« Je suis né à Quimper, dans le beau département du Finistère. Ma mère avait tenu à y venir pour accoucher. Puis nous sommes repartis à Libreville, au Gabon. Mon père travaillait dans le secteur de la peinture pour la pétrochimie. J’ai un petit frère. Je dirais que j’ai eu une enfance plutôt heureuse. Et les choses s’enchaînent : nous partons à La Réunion ! »

« J’aime embaucher des profils diversifiés. Je suis là pour accompagner les équipes dans le succès. »
À l’assaut du vaste monde
Quelles traces peuvent bien laisser, dans le cœur et dans l’esprit du jeune Jonathan, une telle vie d’itinérance ? Une sensation et des souvenirs plutôt positifs. En tout cas durables.
« Cette situation m’apporte, entre autres choses, une capacité importante, celle de l’adaptabilité. Car il en va des individus comme des groupes : seules les espèces qui doivent s’adapter survivent. »
Cela tombe bien, le père de Jonathan Bourhis est muté en Chine, à Shanghai, où la communauté française compte une centaine de personnes.
« C’est là que j’acquiers mon premier ordinateur. Je m’en souviens encore, c’était un modèle de la marque Acer. On parlait beaucoup de défragmentation à l’époque. Tout cela constituait pour moi une découverte et réveillait, révélait, un goût très vif pour la technologie. »
Les découvertes intellectuelles et scientifiques se doublent de la permanence des voyages, l’ordinaire de la vie pour Jonathan Bourhis. « Ensuite on part à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Je me souviens que je vais au lycée Blaise-Pascal. Excellent souvenir, la Côte d’Ivoire, avec cependant un sentiment d’insécurité. Puis c’est la Malaisie, à Kuala Lumpur. Je rentre en France pour passer le bac, à Montpellier. En section scientifique. Quant à la journée d’appel, je ne l’ai pas faite : le fait d’avoir été en Côte d’Ivoire dans des moments agités m’a permis d’en être dispensé. »
Au moment où il passe son bac, il n’a jamais vraiment vécu en France. Sa curiosité des choses, du monde des affaires, de la nouveauté, le pousse vers l’avant. Il enchaîne un double cursus dans le cadre de l’Essec, à Cergy-Pontoise et à Shanghai, puis part au Mexique. Ce n’est pas seulement la nécessité de suivre ses parents qui structure le jeune Jonathan. Le monde physique et virtuel, dans toutes ses dimensions, l’attire.
« J’aime être étranger dans le pays où j’habite. » Toujours ce décalage, comme pour multiplier les points de vue à l’infini. Cette période mexicaine marque l’actuel patron de Pure Storage France. Tout lui plaît là-bas.
La civilisation, les restes de la présence maya, les gens, la beauté des lieux. Quand on parle de Veeam, de VMware, des enjeux de la virtualisation, du cloud et des données numériques, on pense au big business américain, voire à une expérience en France ou en Europe. Pour lui, le cadre physique de cette progression professionnelle chez les majors de la tech, c’est le Mexique. Que d’apparentes contradictions, à moins qu’elles ne soient complémentaires sous le crâne de Jonathan Bourhis.
« On a une certaine latitude pour adapter notre approche. Mais nous sommes soumis au quarterly report, et même
au monthly report. »

Un management fondé sur la confiance
Selon le dirigeant, la réussite d’une stratégie d’entreprise humaine et efficace repose surtout sur le bon sens.
« Quand on embauche une personne, ce n’est pas pour la surveiller, ça n’aurait aucun sens. C’est pour lui faire confiance. Dans cette optique, j’aime embaucher des profils diversifiés, des gens diversifiés. Je suis là pour accompagner les équipes dans le succès. »
À sa manière posée et calme de parler, on sent bien que Jonathan Bourhis ne s’exprime pas pour faire bien, pour être conforme. Ses paroles correspondent à son système de valeurs.
« On ne gagne jamais tout seul », laisse-t-il tomber avec une sorte d’évidence. Avec quel niveau de contrainte ? On sait que, dans les grandes entreprises américaines, la pression du résultat est forte.
« On a une certaine latitude, notamment en adaptant notre approche. Mais, bien entendu, nous sommes soumis au quarterly report, et même au monthly report. »
Le core business de l’entreprise, autrement dit son cœur de métier, fourmille de défis concrets.
« Je suis ravi de travailler chaque jour en France en étroite collaboration avec nos clients et partenaires. Nous avons l’opportunité de les aider à atteindre leurs objectifs en matière de stockage de données, qu’il s’agisse d’atteindre des objectifs
de développement durable, de se préparer à de nouveaux projets d’intelligence artificielle ou d’écarter des technologies héritées du passé, peu performantes et peu fiables, telles que les disques mécaniques. »
Et il y a, parfois, la fierté de participer à de grandes occasions. Au moment où ce portrait était réalisé, la France accueillait un grand événement international, le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle.
« Je suis très content que la France ait été leader de cette semaine de l’IA. L’or noir d’aujourd’hui, ce sont les data, les données numériques. L’IA ne remplacera pas la plupart des métiers. Mais les gens ne l’adoptant pas seront remplacés par ceux qui la mettront en œuvre. »
Une chose est sûre : Jonathan Bourhis est un fonceur raisonné. Il aime faire. C’est pour ça qu’il aime l’industrie.
« Je suis drivé par le besoin de changer. »

« On est dans une industrie qui va très très vite. Une mission, pour nous, c’est trois ans. »
Gérer la mobilité des équipes
Reste la délicate question du retour au bureau, spécialement prégnante depuis la fin des restrictions sanitaires.
« Contrairement à ce qu’on lit ici et là, je ne crois pas que le retour au bureau à 100 % soit la solution. Il est bien de pouvoir rester chez soi, bien aussi d’être au bureau. »
Là encore, pas de systématisme, le choix de la souplesse et de l’adaptation.
Un rapide tour dans les locaux de Pure Storage montre des personnes actives, attentionnées, souriantes, mais non fébriles. On y croise même Hugues Heuzé, le prédécesseur de l’actuel patron de la filiale. Chacun semble à sa place. Certes, il ne s’agit que d’un instantané fugace.
Et il y a cette grande terrasse qui donne sur la rue, comme une extension de la journée. L’espace de travail dans lequel évolue Jonathan Bourhis semble être le produit de sa représentation mentale profonde. Vif, simple, accueillant. D’où, sans doute, cette impression d’ambiance studieuse, montrant des cadres et des employés travaillant sérieusement sans se prendre au sérieux.
Des projets à foison
À mesure qu’on approche de la conclusion de cet entretien, un trait de caractère s’impose dans la personnalité de Jonathan Bourhis.
Il paraît parfaitement centré, bien sur ses appuis pour filer la métaphore rugbystique, mais impliqué dans un monde de changement.
Au fond, son équilibre est de se trouver toujours dans une vrille, toujours en mouvement.
Un conducteur au milieu du pont qui s’effondre ne doit surtout pas piler, il doit accélérer.
« On est dans une industrie qui va très très vite. Une mission, pour nous, c’est trois ans. Donc on verra. Pour l’instant, je m’y retrouve tout à fait. Être dans une démarche innovante avec de l’humain, cela me va très bien. D’ailleurs, si je regarde mon parcours, je suis globalement satisfait. »
Il est rempli de paradoxes qu’il résout dans l’action. On a tendance à l’oublier tant sa vie personnelle et professionnelle est déjà bien remplie et ce, sous toutes les latitudes et dans tous les lieux explorables de la Terre.
Ce manager accompli qui n’a pas encore quarante ans a en prime une éternelle curiosité. Jonathan Bourhis est doté, et c’est une chance, mais une chance qui se travaille, d’un élan vital fort. Il en a conscience et n’est pas aveuglé par lui. La dureté des temps, l’incertitude qui souvent se détériore en inquiétude, font partie de ces données immédiates de la conscience dont parlait Bergson.
« Personne ne viendra nous chercher. Y compris et surtout aujourd’hui. »
La gentillesse et la responsabilité sont une manière élégante de réussir sa vie en pilotant des équipes. Ce n’est en aucun cas une marque de faiblesse. Tant il est vrai qu’à la fin il faut que ce soit les gentils qui gagnent.

Repères
Jonathan Bourhis a 39 ans. Il est marié et père de deux enfants.
Parcours
2007-2008 : Double Bachelor en Business Administration de l’Essec Business School et de l’université de Tongji à Shanghai.
2008 : Keptos IT Services, Key Account Manager puis Sales Manager au Mexique.
2013 : VMware, Occupe différents postes à responsabilité dans le domaine des ventes au Mexique.
2014 : Veeam Software, Country Manager Mexique.
2018 : Nutanix, Enterprise Account Manager puis Global Account Manager.
2021 : Pure Storage, District Sales Manager.
Depuis 2024 : Accède au poste de Country Manager de Pure Storage pour la France. Il remplace Hugues Heuzé, devenu Regional Vice President South EMEA de l’entreprise.
J’aime
Musique : J’aime entendre des musiques qui correspondent à mon état d’esprit.
Livres : L’actualité techno. J’ai été impressionné par Only the Paranoid Survive, d’Andrew Grove, cofondateur d’Intel, qui illustre bien la nécessité de se réinventer.
Cinéma : Forrest Gump. C’est là que j’ai entendu : « La vie, c’est comme une boîte de chocolats. On ne sait jamais sur quoi on va tomber. »
Lieu : Tulum, au Mexique. On y va pour se ressourcer. C’est un haut-lieu de la civilisation maya.
Gastronomie : Dans l’assiette, la cuisine italienne, mexicaine, française. Et dans le verre, je suis assez français. On a de la chance d’avoir une production vinicole d’une grande richesse.
Passions : Garder du temps pour ma famille et les enfants. Une grande partie de ce que je fais, c’est pour eux.
Sports et loisirs : Tennis et vélo. J’ai toujours été très sportif. J’ai même été dans une équipe de football en Chine !