Homme d’esprit et d’action – Hugues Heuzé Regional VP France, Pure Storage

Toujours en avant, doté d’un caractère vif-argent et passionné, Hugues Heuzé est un manager atypique. A tout instant, il avance et décide. Heureusement, cet homme-orchestre a pris pour une fois le temps de se livrer – grâces lui soient rendues.

Deux heures. C’est une conversation au long cours, rebondissante, fluide et pour une large part improvisée. Anecdote qui ne trompe pas : au fil des échanges, le tutoiement s’est imposé comme une évidence. Mais la nature même de l’interview exige davantage. Car ce coup de foudre amical, il faut ensuite le transcrire sur le papier. Par quel bout prendre cet entretien foisonnant, aux ramifications multiples ?

Hugues Heuzé, qui préside aux destinées de la filiale française de Pure Storage, se raconte en effet avec une gourmandise communicative. Tout est intéressant. Il faut trier, mettre en ordre, chercher le fil conducteur et le tirer. L’impression qui domine est l’harmonie foisonnante. « Je suis un vrai Normand : naissance à Dieppe, puis enfance dans un village de l’Eure, à Montreuil l’Argillé. Mon père était pharmacien de laboratoire, ma mère, au foyer. Pour résumer, je dirais que j’ai eu une enfance à la fois modeste et heureuse. »

Puis c’est  le départ pour Rouen, le lycée Corneille et,  bien sûr, le bac. Le jeune Hugues fait alors une première expérience, originale et inattendue, en tout cas pour son interlocuteur. « Je travaille dans les bars. J’ai connu le milieu de la vie rouennaise », dit-il avec un sourire. Il sort beaucoup, vit, se frotte au contact des autres. Peut-être est-ce son expérience de fils unique qui le précipite avec ardeur dans la vie mouvante. Le sait-il seulement ?

Une jeunesse normande

Sur le plan scolaire, en tout cas, les choix se dessinent et se portent nettement sur la science et la technique. « Je fais du génie électrique informatique à l’université de Rouen. Je code en assembleur et en C. Il est certain que je suis technophile. À ce moment-là, comme tous mes camarades, on travaille beaucoup en binôme. »

Il arrive alors au jeune Hugues une aventure peu banale. Une de plus. Il s’inscrit sans passion en droit, et lâche au bout de quelques mois. Pareille mésaventure était arrivée à Flaubert : Rouennais lui aussi, il avait rapidement abandonné ses études de droit pour se lancer dans la littérature !

Pour Hugues Heuzé, ce sera plutôt la science et le business. Mais à deux siècles de distance, les destins se ressemblent. Toutefois, les choses se précisent. Le futur dirigeant de Pure Storage France revient
à Dieppe où il effectue un stage au Greta comme correspondant informatique. Un poste intéressant car les différents sites du Greta,  le fameux groupement d’établissements publics locaux d’enseignement, répartis à travers la France sont des structures de l’Éducation nationale qui organisent des formations pour adultes dans tous les domaines professionnels.

« On me fait faire du face-à-face pédagogique, c’est-à-dire de la formation et de l’enseignement sans jamais avoir été enseignant. Je structure, j’organise, je prends des responsabilités. » Intervient ensuite l’épisode du service national, assez dur à vivre, qu’il n’appartient pas de développer dans le cadre de cette rubrique. Qu’il suffise de mentionner que, sur le plan professionnel, les portes s’ouvrent devant Hugues Heuzé. « L’aventure commence », comme dit Maria de Medeiros à Bruce Willis, dans Pulp Fiction, l’un des films préférés du portraitisé du mois.

« Je privilégie l’échange et la volonté de challenger. J’apprécie d’être entouré de gens qui ont envie de travailler et sont curieux »

Le manager à l’énergie créatrice

Ce Normand n’en a pas fini avec sa province préférée. Il entre chez Renault où il s’occupe de stockage et de sauvegarde sur les sites de production. Justement, Dieppe possède l’usine Alpine, constructeur automobile français et propriété du groupe Renault. Cette société fut fondée en 1955 par Jean Rédélé, à l’époque concessionnaire Renault.

Puis c’est Stordata, entreprise de services du numérique versaillaise qui fit l’objet d’un reportage dans l’E.D.I n° 129 (été 2023). Une maison exigeante qui fait à son tour progresser Hugues Heuzé en maturité. « J’y ai appris la nécessité de ne pas tergiverser, de savoir prendre les décisions. » Plus facile à dire qu’à faire, mais diablement efficace.

La vie se déroule, et avec elle les défis. Là encore, il ne s’agit pas d’expliquer dans le détail, comme sur un CV. L’essentiel est de donner à voir, de marquer les étapes. « J’entre chez NetApp, j’apprends beaucoup et j’ai la chance de travailler avec Bruno Picard, l’un des hommes forts du groupe. De surcroît, je pars à Berkeley, en Californie, pour me former pendant six mois au management. »

Puis c’est l’aventure Nutanix. Une approche très différente : chez NetApp, la structure existait déjà, impressionnante. À l’inverse, chez Nutanix, la structure française est balbutiante, mais dotée de solides ambitions. « J’arrive dans  le centre d’affaires Regus, à Neuilly. Au bout  de trois mois, on me propose de prendre la tête de la filiale française ! J’ai conscience d’être  dans la start-up qui a fait up », raconte-t-il joliment.

« Au fil de mes expériences, j’ai appris la nécessité de ne pas tergiverser, de savoir prendre les décisions »

Las, l’aventure tourne court au bout de trois ans. « L’alchimie avait changé, je n’étais plus en phase. » Comme il arrive toujours en économie, et fréquemment dans la vie, l’offre et la demande coïncident pour donner naissance à un nouveau défi. « Une conjonction de choses se produisent. À la suite d’un appel et d’un enchaînement de circonstances, j’arrive chez Pure et je trouve une entreprise déjà bien lancée. Rien à voir avec ce qui s’était passé chez Nutanix, où tout était à développer. » Globalement, Hugues Heuzé apprécie d’office trois grandes qualités qui caractérisent la filiale française de Pure Storage : le produit, la culture et l’existence d’un fort niveau d’autonomie. Trois ingrédients indispensables pour propulser la vision du groupe, qui consiste à promouvoir cette véritable révolution qu’est l’industrie du flash.

La confiance pour viatique

Cette envie partagée est perceptible dans les locaux : une ruche silencieuse, des bureaux aérés, du vert un peu partout et une terrasse pour la détente et même le barbecue. On pourrait dire qu’Hugues Heuzé ressemble à ses locaux, et que ses locaux lui ressemblent.

Travailler, progresser conjointement avec ses collaborateurs, accomplir, faire quelque chose de sa vie : ici, la curiosité règne en maître. Avec quel type de management ? « Je fais confiance. C’est la chose la plus importante. Mais attention, la confiance n’exclut pas le contrôle. Ainsi, je mets en place du suivi régulier pour m’assurer qu’on est bien sur la bonne trajectoire. En effet, je ne crois pas du tout à l’absence de suivi. D’un autre côté, je ne crois pas tellement non plus au management par Excel… au fond, je suis un peu entre les deux ! »

Cette confiance maîtrisée, régulée, assumée, est une forme de respect envers autrui et envers soi-même. Le patron de Pure Storage France en convient, lui qui « privilégie l’échange et la volonté de challenger. J’apprécie d’être entouré de gens qui ont envie de travailler, avec la volonté de transformer et de rester curieux. En fait, il faut être malin », ajoute-t-il avec une dose de… malice. Et de capacité d’éveil, car Hugues Heuzé, de son propre aveu, dort peu. « J’ai un milliard d’idées qui me viennent la nuit. Je les note au réveil. Ce sont des idées de toute nature. J’observe que ce phénomène s’accentue avec le temps. »

Dans cet exercice du portrait de dirigeants, il arrive souvent que les impétrants admettent sans détour qu’ils se contentent de quelques heures de sommeil. Mais rares sont ceux qui ont conscience d’avoir un cerveau qui tourne en permanence, au point d’émettre des idées notables, et éventuellement exploitables, dans tous les compartiments de leur vie. Comme si l’activité cérébrale nocturne produisait du big data, lui-même raffiné en analytique puis en aide à la décision. « On ne peut pas séparer le personnel du professionnel. C’est impossible. Quand on est bien dans l’un, on est bien dans l’autre. De ce point de vue, ma femme m’aide beaucoup. Au fil du temps j’ai gagné en  humanité, et c’est en particulier grâce à elle. »

Et du côté des projets ? À la cinquantaine, Hugues Heuzé a encore du temps devant lui.
Des montagnes à abattre et des défis à relever. Il précise : « Tant que je prendrai du plaisir, je continuerai. » Il souhaite avoir de belles années en perspective chez Pure Storage, entreprise qui décidément lui est chère et, de toute évidence, lui correspond. Certes, la météo change vite dans le business du numérique. Mais le présent est bien orienté, pour ses collègues comme pour lui-même. Et le solaire Hugues Heuzé de lâcher pour finir : « Je veux qu’ils viennent avec le sourire ! »

« Je fais confiance. Mais la confiance n’exclut pas le contrôle. Ainsi, je m’assure qu’on est sur la bonne trajectoire »