Portrait de Frederique Lellouche - Plateforme RSE

“Espoirs et interrogations autour de la transition numérique”

Organisation gouvernementale oecuménique forte d’une cinquantaine de membres, Plateforme RSE aborde la responsabilité sociétale et environnementale sous l’angle du consensus pour que les sociétés tendent vers le bon cap.

Mai 2022
Frédérique Lellouche - Présidente de Plateforme RSE - Propos recueillis par Vincent Verhaeghe, photos Vincent Baillais, andia.fr

Quels éléments ont amené la création de Plateforme RSE et quelle est son organisation ?

Plateforme RSE a été mise en place à la suite d’une conférence sociale en 2012. Seize organisations de la société civile incluant la CFDT dont je fais partie, ont dressé le constat selon lequel la plupart des organisations possèdent des visions et des attentes différentes en matière de RSE. Elles ont demandé au gouvernement de créer un espace de concertation formalisé autour de ces sujets. Hébergée par France Stratégie, elle regroupe cinquante participants répartis en cinq pôles2 gérés par un bureau composé de quatorze membres. Dans cet espace de dialogue et d’échanges nous partons toujours du principe de trouver le meilleur consensus sur les sujets que nous abordons et traitons.

« Les TPE et PME nous demandent de suivre une approche proportionnée et sectorielle »

Obtenir un accord parmi autant de membres relève du défi…

Il est clair que le consensus n’est pas toujours évident à trouver. Sur le fond, cela peut être frustrant car tout le monde est amené à faire plus ou moins de concessions au cours des débats, mais en contrepartie, lorsque nous émettons un avis ou une recommandation, nous sommes sûrs qu’ils ont été entérinés par tous nos membres, ce qui leur donne une très forte légitimité.

Précisément, comment définissezvous les sujets que vous abordez ?

Le gouvernement nous peut nous solliciter sur des situations précises comme l’engagement en faveur des travailleurs handicapés, l’empreinte biodiversité des entreprises, la prévention des conduites addictives, ou encore l’implication des employeurs auprès des salariés aidants familiaux. En parallèle, nous réalisons des autosaisines sur d’autres sujets tels que la difficulté d’appréhender les multiples labels RSE, les liens des entreprises avec leur territoire ou encore le vaste thème de la responsabilité numérique des organisations.

Portrait de Frederique Lellouche - Plateforme RSE

La RSE englobe donc des sujets multiples et divers. Comment vous organisez-vous pour proposer des avis éclairés ?

Les cinquante organisations de la plate-forme viennent elles-mêmes d’univers variées. Nous disposons ainsi, par leur biais, de compétences fortes dans la plupart des domaines que nous traitons. Cela nous permet notamment de mettre en place une première étape consistant à bien définir le cadre légal de chaque sujet. Ensuite, nous faisons appel à des experts extérieurs, lors de nos débats. Certains apportentune vision académique, d’autres partagent leur pratique quotidienne des sujets débattus, car nous cherchons à recueillir le plus grand nombre de points de vue pour aboutir à une synthèse efficace. Nous travaillons en moyenne environ six mois sur chaque sujet, et émettons des recommandations tant au gouvernement qu’aux entreprises. Elles ne font pas force d’obligation mais rendent compte des attentes des acteurs, et élargissent les frontières de la RSE.

Quels sont les grandes lignes de vos réflexions sur le numérique ?

Dans le cadre de la responsabilité numérique des entreprises (RNE), nous avons défini deux éléments : le premier est lié aux données ; le second aux défis environnementaux relatifs à l’usage du numérique. La transition digitale apporte des espoirs mais également des interrogations par son influence, notamment sur la gestion des données collectées ou produites, car ces dernières, stratégiques, induisent une gouvernance fondamentale. Sur ce point, nous avons formulé une trentaine de recommandations qui couvrent, par exemple : le renforcement d’une formation au numérique qui, dès le plus jeune âge, prend en compte les notions de protection ;le droit à la vie privée ; l’assurance que les développeurs repèrent les biais discriminatoires de certains algorithmes ; la mutualisation des données en open source. Sur le volet environnemental, nous prônons un usage raisonné du numérique, jusqu’à légiférer sur un principe de sobriété. Nous oeuvrons aussi pour que la performance extrafinancière des entreprises inclue l’impact environnemental du numérique.

« Nous oeuvrons pour que la performance extrafinancière des entreprises inclue l’impact environnemental du numérique »

Les grandes entreprises peuvent suivre ces recommandations, mais quid des TPE et PME ?

Il faut davantage accompagner ces entités pour qu’elles tiennent compte de la RSE et notamment du numérique responsable. Elles nous demandent d’ailleurs de suivre une approche proportionnée et sectorielle. Globalement, il faut se conformer à certains critères sans dresser de checklist obligatoire. Mais les législations européenne et française évoluent, et des éléments de la CSRD (Corporate sustainable reporting directive) telle que la double matérialité vont être transposés en droit français dès 2024.

Qu’entendez-vous par « double matérialité » ?

La double matérialité invite l’entreprise à ne pas se contenter d’identifier les risques extérieurs qu’encourt son activité. Elle doit identifier les dangers qu’elle fait peser sur son écosystème. C’est une nouveauté de la directive CSRD. Auparavant, dans un exercice appelé matrice de matérialité, elle identifiait les menaces les plus saillantes pour son business model, et priorisait ainsi les enjeux RSE dont elle allait rendre compte. De plus en plus, l’entreprise doit évaluer son impact. Voilà une attente forte de la société. C’est également l’esprit de la directive sur le devoir de vigilance dont la Commission européenne a dévoilé le projet le 23 février 2022 visant à créer un système de responsabilité des commanditaires vis-à-vis de leurs sous-traitants et fournisseurs. On ne va plus pouvoir considérer l’entreprise isolément de sa chaîne de valeur. C’était déjà le cas en France, cette obligation de vigilance va devenir européenne.

1 Cet entretien s’est déroulé en février 2022, lors que le mandat de Frédérique Lellouche en tant que présidente de Plateforme RSE arrivait à échéance en mars.
2 Les membres de la plate-forme sont répartis en cinq pôles : économique, syndical, société civile, institutions publiques et chercheurs-développeurs.

BIOGRAPHIE
Formée à Sciences Po Toulouse, Frédérique Lellouche effectue, dans les années 2000, plusieurs missions au sein d’ONG. En 2009, elle rejoint l’Institut Belleville, opérateur des projets de coopération syndicale internationale de la CFDT. Membre du comité Impacte de France Stratégie, administratrice de l’Observatoire de la RSE, et responsable RSE au sein de la CFDT, elle dirigera Plateforme RSE de janvier 2020 à mars 2022.