Portrait d'Ernest Quingles - EPSON

Portrait : Ernest QUINGLES – CEO d’Epson France, Espagne et Portugal

L’HUMANISME EN ACTION

Ernest Quingles tient du philosophe, du businessman et de l’artiste. Son profil protéiforme, à l’image de sa vie, réside dans son insatiable curiosité. Y compris dans l’exercice de ses responsabilités.

Oct 2020
Par Pierre-Antoine Merlin, photos Jim Wallace
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Ernest Quingles a 55 ans. Il est père de quatre enfants.

Parcours
1994 – Master en Business Management, universidad de Navarra (Pamplona)
1983 – Esade Business School, Barcelone
1989 – Arthur Andersen, Consultant
1993 – Riso Iberica, directeur général
2001 – Océ (groupe Canon), directeur général
2008 – Tech Data Italia, Managing Director
Depuis 2014 – Epson, CEO France, Espagne et Portugal, VP Europe. Parallèlement, il pilote le développement de Paperlab, une entité du groupe consacrée à l’économie circulaire.

J’aime
Musique : Le jazz, l’opéra italien et allemand.
Écrivain : Amin Maalouf.
Lieux : Milan et Barcelone. Istanbul, découvert à vélo, au départ de Barcelone.
Gastronomie : Le vin et la viniculture. La cuisine méditerranéenne
Sport : Le ski, et notamment celui de randonnée. Le golf, pour lequel réfléchir, visualiser, anticiper est une représentation mentale du business

Portrait d'Ernest Quingles - EPSON

La rencontre avec un chef d’entreprise, surtout si elle doit déboucher sur un entretien, lui-même donnant lieu à un article, est assez codée. C’est une technique, avec des réflexes conditionnés de part et d’autre, et la présence implicite d’une ligne éditoriale indiquant plus ou moins nettement la voie à suivre. Le tout sous la férule invisible du lecteur, aussi inconnu que le soldat du même nom. À l’arrivée : une ou plusieurs pages qui incarneront l’échange. L’exercice du portrait, lui, est plus complexe. Il faut travailler la pâte humaine. Dans le cas d’Ernest Quingles, c’est dès l’abord que l’affaire se complique. L’homme est si divers, si multiple, qu’il faut chercher en permanence à le canaliser – en vain, heureusement. Sa trajectoire de vie n’est pas banale. Il naît en 1955 à Barcelone, dans une famille espagnole bourgeoise, selon ses propres termes, puis évolue et grandit « dans un milieu plutôt catalanisant, très chrétien, influencé par les jésuites ». On reconnaît à ces derniers « une certaine forme d’ascèse, le goût de la précision, de l’étude, de la discrétion en tout cas ». Quand on lui fait remarquer que les membres de la Compagnie de Jésus sont surtout réputés pour être manipulateurs, et pas du tout ascètes, il répond « qu’ils sont les deux ». Réponse de jésuite ?

EN QUÊTE DE L’UNITÉ

Portrait d'Ernest Quingles - EPSON

« Une chose est sûre, fondatrice : mes parents ont inculqué à toute la fratrie, et donc à moi en particulier, une culture du travail, de l’effort, de l’implication. Un exemple, partiellement lié à l’époque : contrairement à beaucoup de jeunes aujourd’hui, je n’avais ni le goût ni l’envie d’une année sabbatique. Je voulais faire, être, entreprendre. » En Espagne ou ailleurs ? Selon Ernest Quingles, qui s’intéresse déjà à l’âme des peuples, ce pays pourtant connu pour son extrême décentralisation est, en fait, demeuré jacobin dans son attitude et son comportement. Dans l’immédiat, pour ce jeune homme pressé, l’envie de connaître le monde est patente. Il suit le cursus de l’Esade, une école de commerce prestigieuse, dont la particularité est d’envisager l’univers des affaires sous l’angle humain. Ce système de valeurs, fondé sur l’appréhension sociale, chrétienne et humaine du business, a tout pour séduire se jeune Ernest. Sa curiosité est déjà à l’affût. « Je rentre chez Arthur Andersen, qui finira par devenir Deloitte après la chute de la nouvelle économie, il y aura bientôt une vingtaine d’années. Puis je pars à Londres, où je travaille pour l’ambassade, et où je m’intéresse de près, pendant deux ans, à tout ce qui relève de la géopolitique et de la géoéconomie. » Entre autres découvertes, il prend conscience de l’influence des sociétés savantes à visées philosophiques, toutes plus ou moins issues des Lumières. Pas de doute, Ernest Quingles n’aime pas s’en laisser conter. Il veut apprendre, comprendre, savoir, évaluer, demeurer au plus près de l’humain. L’humanité souffrante, sa quête de sens, la façon dont les choses s’organisent et fonctionnent en symbiose, voilà sa vie. Ses pas le mèneront logiquement chez Epson, société japonaise qui veut privilégier modernité et temps long.

« Chez les personnes avec lesquelles je travaille, j’arrive à voir la capacité à changer, à évoluer, en misant sur l’écoute, la participation, la confiance »

LE BUSINESS COMME MÉTAPHORE DE VIE

Portrait d'Ernest Quingles - EPSON

Après quelques expériences managériales dans l’industrie numérique, et plus précisément dans ce qu’on appelle alors la bureautique, il arrive chez Epson, il y a sept ans. Il a beaucoup réfléchi, travaillé, voyagé. Notamment dans les pays du Moyen-Orient. « La culture méditerranéenne me passionne. Je m’inscris tout à fait dans cette manière d’être au monde. Certes, il existe des conflits, mais ce ne sont pas, à rebours de ce qu’on croit, des conflits religieux. Ce sont des tensions prosaïques, liées au problème de l’accès aux ressources naturelles. C’est cela qu’il faut traiter en priorité. » Cet accord profond de l’unité de la région, que pointe Ernest Quingles, on le trouve déjà chez Fernand Braudel, l’un des plus grands historiens et géographes du XXe siècle, pour qui la Méditerranée est le « seul continent liquide ». C’est que ce meneur d’hommes s’efforce d’envisager sa vie comme un ensemble symbiotique. « Tous les jours – je dis bien tous les jours –, je questionne sur mes valeurs. C’est le cas lorsque je suis appelé par le patron d’Epson Europe, qui la entendu parler de moi. Il me dit qu’il y a un problème avec la filiale espagnole, qu’il pense que je pourrais être utile, et qu’il me fait confiance. »

« Les entreprises doivent récupérer une solide base de valeurs. Et sortir de la philosophie du ‘‘j’y ai droit‘‘. »

Visiblement les choses fonctionnent, et s’arrangent à la satisfaction générale. Même chose en France : quand une gêne survient, avec une dimension à la fois humaine et sociale, il faut traiter l’objectif. À nouveau, le paysage s’éclaircit, et la filiale repart sous de meilleurs auspices. Est-ce une succession de hasards, ou le fait d’une méthode Quingles ? Et si oui, laquelle ? « Les choses se font d’une façon plus simple qu’on ne croit. Dans ma carrière, je suis passé du micromanagement au macromanagement, par l’entremise de l’expérience accumulée. J’arrive à voir, chez chacune des personnes avec lesquelles je travaille, la capacité à changer, à évoluer. Pour cela, je mise beaucoup sur l’écoute, la participation, la confiance. » Ça marche, au premier abord. « Malgré la Covid, notre croissance est à deux chiffres, en France. Les résultats de nos efforts portent leurs fruits. » Mais sa motivation n’est pas guidée par le quarterly report à l’aune duquel des carrières se font et se défont. « J’interviens comme business angel dans le milieu des jeunes pousses. Tant il est vrai que le point central de l’économie, ce sont les entreprises. En France et dans d’autres pays, tout le monde n’en est pas persuadé, mais les entreprises sont, justement, la partie la plus socialisante de l’économie et de la société. Elle doivent récupérer une solide base de valeurs. Et sortir de la philosophie du ‘‘j’y ai droit‘‘. »

L’ÉCORESPONSABILITÉ SALUÉE

Portrait d'Ernest Quingles - EPSON

Enfin, le patron d’Epson pour la France, l’Espagne et le Portugal se réjouit de la montée en charge de la préoccupation écologique, notamment au sein de son entreprise, de ses partenaires et de ses clients. « La vente d’imprimantes sans cartouches a commencé dès 2010, avec une ligne d’appareils professionnels à réservoirs rechargeables. » Dix ans plus tard, la gamme EcoTank d’Epson est remarquée pour sa démarche écoresponsable à contre-courant du modèle économique de l’impression : elle fonctionne non seulement sans dégagement de chaleur ni émission nocive, mais aussi sans cartouche. Il résulte de cette rencontre avec un manager hors du commun, par son ambition et sa hauteur de vue, une impression tenace. Et, enfin, optimiste. Ernest Quingles qui, depuis ses jeunes années, professe l’envie d’être, plus que d’avoir, aurait une chance de retrouver l’unité perdue.