Didier Delfino, Président de Brother France : le manager philosophe
Voici un homme complet à la tête de la filiale française de Brother. Sa mission consiste à propulser cette entreprise en améliorant sa performance et son management. Son enthousiasme et le goût des autres y contribueront à coup sûr.
Juil 2019Par Pierre-Antoine Merlin, photos Jim Wallace
À cinquante-trois ans, il est père de deux enfants.
PARCOURS (sélection)
Bac A2,licence en commerce international (IEMI Paris), équivalence BBA de la Graham Business School.
1991 : 1996 Entre chez Brother France comme responsable ventes indirectes pour la région sud-est.
1996 : Ingénieur d’affaires grands comptes.
1997 – 2007 : Responsable d’agence sud-est puis directeur des ventes grand sud.
2007 : Directeur retail
2014 : Directeur commercial
2017 : Directeur commercial, marketing et technique
Depuis 2018 : Directeur général puis président de Brother France
J’AIME
Musique : Le jazz fusion, notamment le bassiste Marcus Miller.
Littérature : Platon. L’amélioration continue. L’homme n’est pas fondamentalement mauvais, et la religion est un support.
Films : Tout ce qui est Star Wars, Marvel, grand spectacle.
Lieu : Le monde, et spécialement Kallisté. C’est ainsi que la culture, les chants, etc. Jean-Jacques Rousseau a écrit un projet constitutionnel pour la Corse, repris par Paoli. C’est lui le grand homme de la Corse, plus que Napoléon. D’ailleurs une partie des éléments apparait dans notre Constitution.
Gastronomie : La cuisine traditionnelle des lieux où je me rends.
Passion : L’astronomie.
Sport : Le rugby. Je le pratique et pratique encore, par exemple le samedi avec mon grand fils. Et Brother a sponsorisé le Stade Français.
Une rencontre avec Didier Delfino s’apparente plus à une conversation à bâtons rompus qu’à une interview en bonne et due forme. Il faut dire que les circonstances s’y prêtent : il fait beau, le quartier est arboré et paysagé, et le bureau présidentiel ouvre sur un étang où des canards en file indienne glissent calmement. Mais il y a plus.Très vite, Didier Delfino ressuscite, sans se souvenir des dates, mais avec une précision étonnante, ses souvenirs de jeunesse. « Une fois mon bac littéraire en poche, et comme je m’intéresse aux langues étrangères, je pars à Boston pour parfaire mon anglais au sein d’une famille. Parallèlement à cette expérience, je continue à nourrir un grand intérêt pour la philosophie et les questions existentielles. » Retour de Boston, il s’inscrit en LEA (Langues étrangères appliquées), et envisage de faire sa carrière dans l’interprétariat et la traduction. « C’est alors que je rencontre un prof amoureux de la poésie américaine. Au cours d’une discussion, il me dit que certes, j’aime les langues, mais qu’il ne me voit pas du tout interprète dans une conférence internationale, avec un casque sur les oreilles. Qu’en revanche, il m’imagine bien faire une carrière de commercial. » Le jeune Didier n’en croit pas… ses oreilles, justement. « À la réflexion, je me dis qu’après tout, mes parents étant déjà dans le commerce… Peut-être y ai-je quelque chose à faire ? Le problème, c’est qu’il n’existe à l’époque aucune équivalence entre les langues et le commerce. Je repars donc de zéro, en BTS d’action commerciale étalé sur deux ans. »
Impossible de détailler, ici, ses années de formation tant elles sont intenses, variées et porteuses d’expériences se combinant les unes avec les autres. Il repart alors aux États-Unis, à Chicago cette fois, et envisage de faire un MBA. Hors de prix, le diplôme, naturellement. Qu’à cela ne tienne ! Il travaille pendant dix-huit mois pour une entreprise américaine, MicroAPP. Une période très formatrice, au cours de laquelle il voyage beaucoup en Europe afin d’effectuer une mission potentiellement importante pour l’avenir du groupe. Las, ce dernier ne donne pas suite. À toute chose malheur est bon : suite à une nouvelle conversation qui s’avère cruciale, il entre en contact avec Brother France. Cela tombe bien : pour des raisons familiales impérieuses, il doit de toute façon rentrer en France. Tout cela se passait il y a vingt-huit ans. Une éternité à l’ère numérique. Mais à l’époque, il est sur le point de réaliser sans le savoir la promesse de l’aube : entrer chez Brother. Il y est toujours.
C’est un vrai défi que doit relever Didier Delfino lorsqu’il arrive dans l’entité française du groupe japonais. « Rapidement, j ’endosse la responsabilité de trente-cinq départements du sud. Pas de mobile, pas d’ordinateur portable, pas de CRM : les prises de commandes se font en traditionnel, directement sur le carnet. En plus, je m’occupe de la partie bureautique, c’est-à-dire des machines à écrire… j ’aurais préféré l’informatique. On était vus comme les OS de la vente, plutôt que les seigneurs du management. C’est peu de dire que nous n’avions pas les morceaux nobles. » Heureusement, petit à petit, les composantes de l’IT se rapprochent. C’est déjà le début de la convergence qui s’amorce. « Et d’abord, le fax arrive… Une première chez nous ! On devient leader du secteur. Surtout, le fax nous ouvre encore plus le spectre de la bureautique. D’ailleurs, d’une façon générale, j e suis quelqu’un qui a de la chance. Sur deux aspects au moins : d’abord, mon entreprise évolue, tout comme le fait l’environnement. Ensuite, je n’ai jamais eu à convoiter un poste. À chaque fois que je me suis ennuyé, j ’ai trouvé à rebondir. Et j ’ai trouvé des managers qui m’ont écouté. » Sans doute le secret de sa longévité chez Brother…
« Manager, ce n’est pas taper dans le dos de l’employé, faire semblant de s’interroger sur sa situation, l’inviter parfois »
UNE APPROCHE BASÉE SUR LA CONFIANCE ET LE RESPECT
Les groupes asiatiques, et Brother en particulier, sont réputés par leur vision à long terme. Le human centric joue à plein. Les processus fonctionnent en symbiose. Par son travail, sa profondeur de champ, sa capacité d’écoute, Didier Delfino correspond à cet esprit itératif. Ainsi, il progresse horizontalement dans la structure de Brother France. C’est un choix raisonné : plutôt que changer d’entreprise selon l’occasion, il choisit d’approfondir une nouvelle zone de responsabilité, de faire les choses autrement. Essayer et associer, tout en restant chez Brother France, en ne s’éloignant jamais de la partie commerciale, c’est un full time job. Visiblement, ça marche. Son professeur féru de poésie américaine avait raison. Plusieurs facteurs viennent conforter cette démarche.
« D’abord, contrairement à ce qui se passe dans les boîtes américaines, nous ne sommes pas de nature court-termiste. Il n’y a pas à proprement parler d’obligation de résultat. Il y a un engagement. La société s’engage envers moi, et je m’engage vis-à-vis d’elle. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une obligation de résultat. Plutôt une obligation de moyens. À chaque responsable de les mettre en œuvre. » Cette approche globale est fondée sur la confiance et le respect. « Être manager, ce n’est pas taper dans le dos de l’employé, l’inviter une fois de temps en temps, faire semblant de s’interroger sur sa situation. Pour moi, le management, c’est tout le contraire. C’est un fil rouge. C’est de la technique. Par exemple, je pense à l’analyse transactionnelle et à la programmation neurolinguistique. Ainsi, j’ai systématiquement demandé à être accompagné dans cette démarche. C’est quelque chose de sérieux. » Mais utile dans la vente ? Didier Delfino n’en démord pas. « Dans le commerce, on peut diriger ses équipes à la dure, pour faire du chiffre et avoir du résultat. Mais à long terme, cela ne fonctionne pas. » « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », écrit La Fontaine. Comme en écho lointain, le président de Brother France lui répond. Lui aussi privilégie le temps long. « À un moment clé de mon parcours, un dirigeant m’a simplement conseillé d’être patient. Comme ce professeur dont je parlais tout à l’heure, il avait raison. » L’esprit Brother rejoint l’esprit Delfino : celui du bon sens et de l’équité. Et maintenant ? Il vient de succéder à Katsuto Ota, qui assurait la présidence de la filiale française depuis 2016. Une transition en douceur, donc. « Un jour, il m’a dit que j’étais pressenti. Les choses se sont faites naturellement : j’étais déjà directeur général, et dans l’entreprise depuis longtemps. » Pour Didier Delfino, il ne s’agit pas d’un aboutissement. C’est un prolongement, un accomplissement, une nouvelle étape dans sa trajectoire personnelle et professionnelle. Il lui reste tant de choses à faire. Une vie entière n’y suffira pas.