portrait Eric Jeanmougin

Éric Jeanmougin, Président d’AMD France : l’élan vital en personne

Il séduit par un caractère franc et mobile, prêt à s’adapter sans se renier. Des qualités précieuses pour transformer cette marque historique en entreprise pérenne, tournée vers l’excellence technique et commerciale.

Sep 2019
Par Pierre-Antoine Merlin, photos Jim Wallace
REPERES

Éric Jeanmougin a cinquante-sept ans. Il est marié et père de deux enfants.

PARCOURS

Né dans le Territoire de Belfort. DUT en électronique et électrotechnique, puis diplôme de l’UTC – Compiègne.
1989 – Ingénieur chez IBM, sur le site azuréen de La Gaude.
1996 – Intègre HP à Grenoble, au siège de la filiale française. Il occupe plusieurs fonctions managériales, depuis celles de chef produit (solutions, stations de travail) jusqu’à la responsabilité du channel.
2002 – Toujours chez HP, accède au poste d’EMEA Sales & Marketing Manager Workstation. Il pilote en particulier l’adaptation de la stratégie groupe aux besoins, tant locaux qu’internationaux.
2011 – Directeur des ventes internationales de Soitec, encore dans la région grenobloise.
Depuis 2013 – Chez AMD (Advanced Micro Devices), il accède progressivement aux fonctions d’EMEA Senior Strategic Account Manager, d’EMEA Sales Director, et, en 2015, il devient président de la filiale française.

J’AIME…

Musique – Le jazz et ce qui se rapporte aux années 1980 et 1990.
Littérature – Jules Verne, les livres d’aventures, les ouvrages avec une connotation moderne, policière ou scientifique, comme ceux de Bernard Werber.
Films – Action et ludique : un bon James Bond ou une bonne comédie policière, par exemple.
Lieu – Les Alpes. J’y habite. J’aime l’évasion, le bien-être que procurent la montagne et la nature. Et me trouver seul dans un paysage superbe.
Gastronomie – La cuisine d’un restaurant étoilé ou celle d’une table toute simple, j’adore la bonne chère.
Sport – Je pratique le triathlon depuis vingt-huit ans.
Qualités que j’apprécie – La franchise, l’ouverture, la passion, la qualité d’écoute, la capacité à tirer les leçons de ses erreurs.

portrait Eric Jeanmougin

Dès les premières minutes de la conversation avec Éric Jeanmougin, un constat frappe l’interlocuteur médusé. Contrairement à beaucoup de ses confrères, il ne dit du mal de personne. Comme s’il voulait conserver son énergie, ne rien gaspiller. Jamais, par exemple, il ne s’attarde sur une situation délicate dont il aurait eu à connaître au cours d’un parcours professionnel déjà bien rempli. Quand on lui fait remarquer cette bienveillance spontanée, sa réponse fuse sans apprêt. C’est celle d’un philosophe de l’action, étonné de notre étonnement. « À quoi bon agir autrement ? Bien sûr, j ’ai connu des passages difficiles, des relations humaines compliquées. Je pourrais en faire un livre ! Mais cela ne sert à rien de ressasser le passé, c’est sans intérêt. » Éric Jeanmougin est tout entier dans cette assertion. Il est à lui seul, sa propre marque, il est une force qui va, certes, mais une force qui regarde autour d’elle, en avançant devant lui, « droit comme une barre », comme disait volontiers Gabin des gens qu’il respectait. C’est sa façon d’être, sa praxis, pour reprendre le vocabulaire infatué des structuralistes.

« Mixer les environnements professionnels me plaît toujours, c’est épanouissant »

portrait Eric Jeanmougin

Cela ne date pas d’hier. Aussi loin qu’il se rappelle, Éric Jeanmougin a toujours professé un goût vif et prononcé pour les choses et les personnes, bien loin des « vrais gens » dont on nous rebat les oreilles. En lui, se trouve une curiosité orientée, prompte à agir et à transmettre alentour. C’est un passeur dans l’âme. « J’ai un bagage scientifique et technique, essentiellement. Quand j ’entre chez HP – c’est-à-dire assez tôt dans ma carrière – je glisse petit à petit vers le marketing et la vente. Je suis aidé dans cette direction par la chance insigne d’obtenir rapidement des responsabilités. » Elles ne viennent pas toutes seules. Cette transition de la technique vers la vente n’appelle pas nécessairement les mêmes compétences qu’une trajectoire d’ingénieur classique. Qu’à cela ne tienne ! C’est un challenge de plus. Relever un défi, dans son esprit, ne constitue pas une question de courage ni de bravoure : il est galvanisé par l’adversité. Les aléas de la vie sont les glissements progressifs du plaisir dont parle Robbe-Grillet à un tout autre propos. « Mixer les environnements professionnels est un exercice qui m’a plu, et qui me plaît toujours. C’est épanouissant. Encore une fois, je n’ai pas de plan de carrière. Je n’ai rien subi. J’ai choisi. »

portrait Eric Jeanmougin
« Ce qui me motive, c’est le défi. Faire mieux, comprendre le channel, aborder des choses nouvelles »
Éric Jeanmougin, président d’AMD France

CROIRE AUX HOMMES ET AUX PRODUITS

portrait Eric Jeanmougin

Chez HP, Éric Jeanmougin se frotte à toutes les disciplines, avec plus de latitude que chez IBM où il a amorcé son début de carrière. « Comme HP, IBM est une entreprise américaine. On voit vraiment la culture de la côte est des États-Unis, fondée sur les process. HP, en revanche, est typique de la culture californienne. C’est donc l’occasion pour moi de développer à la fois les hommes et les produits. » Cette lune de miel aura cependant une fin. « Je quitte HP au moment où je ne me sens plus en adéquation avec la stratégie. C’est alors que je monte une chaîne de restauration près de Grenoble. Mais à l’arrivée, cela ne se fait pas, pour toutes sortes de raisons dont l’une tient au fait, très concret, que l’emplacement n’était sans doute pas le bon. Résultat, même si le projet est prêt, il n’a jamais été activé. » Après cette expérience tuée dans l’œuf, une période intense s’ensuit chez Soitec. Il s’agit d’une société qui met au point des outils de fabrication de semiconducteurs. Éric Jeanmougin intervient beaucoup pour des missions de consulting. « On est dans l’univers de la chimie. Nous comptons de très bons clients comme Intel, Samsung ou Philips. C’est une période où je voyage beaucoup. Je m’aperçois que tous ces clients sont très différents de nous, et qu’ils sont très différents entre eux. » Une étape riche en découvertes, constituée d’alluvions qui compléteront la trajectoire du futur patron d’AMD France. Il n’aura pas beaucoup à attendre. L’ère du grand tournant approche. En 2013, après avoir travaillé dans finalement assez peu d’entreprises, mais toujours avec des profils de postes diversifiés, le destin frappe à la porte : la sienne. Il appert qu’AMD, challenger d’Intel depuis toujours, affiche de façon chronique des hauts très hauts – mais des bas très bas.

« Disposer de bons produits ne suffit pas, il faut l’implication des acteurs de la vente »

LE MANAGEMENT PARTICIPATIF EN ACTION

portrait Eric Jeanmougin

À ce moment précis, le groupe cherche un manager à fort potentiel pour muscler la filiale française. « J’ai envie de ce poste. J’aime les challenges, et en voici un. Nous sommes en présence d’une boîte américaine, et comme toujours avec les Anglo-Saxons, ils regardent davantage le potentiel de la personne que ses diplômes. Tout l’inverse des Français. Bref. Avec mon envie de progresser et ma capacité d’adaptation, j ’entre dans cette société et j ’aborde de nouvelles fonctions. » Toutes convergent rapidement vers la direction générale. En France, Éric Jeanmougin a la responsabilité d’une équipe à la fois motivée, compétente, composée d’un effectif réduit. « Tout le monde travaille en home office. Cette situation implique un management participatif, une forte autonomie de chacun, et surtout un niveau de confiance élevé. » Autre changement par rapport au mode de gouvernance classique, « il est nécessaire de bien respecter les process et de savoir communiquer. C’est très important. Les outils de CRM y contribuent fortement ». De l’avis général, ça marche. « Quand je me regarde dans une glace, ce qui me motive, c’est le défi. Faire mieux, être encore plus productif, approfondir, aborder des choses nouvelles, comprendre le channel. C’est d’autant plus vrai que la façon de travailler n’arrête pas de changer, que tout doit s’adapter, que nous-mêmes devons le faire. Ainsi, de nombreux métiers n’existaient pas il y a cinq ans. Il faut se projeter, se préparer. Et si possible aimer cela. » Cette projection vers l’avant n’est pas donnée à tout le monde. Pourtant, Éric Jeanmougin a sans doute raison : les promesses du numérique supposent d’être soi-même capable d’une prise de risque mesurée, mais réelle. Là encore, le patron d’AMD France entend jouer de sa capacité d’entraînement pour faire œuvre utile. Selon lui, « les canaux de distribution demeurent cruciaux. Certains s’adapteront, d’autres pas. Il y a aura de toute façon une forte appétence techno et une volonté de bouger. En somme, un comportement adapté à cette donne en perpétuelle évolution. C’est fondamental pour réussir. Disposer de bons produits ne suffit pas, il faut l’implication des acteurs de la vente ». Produits, services, techniques et outils de veille fonctionnent désormais d’un seul tenant. De même, l’équipe se déplace souvent chez l’utilisateur final en compagnie du partenaire : l’approche suppose complémentarité et symbiose. La conjoncture et ses aléas influent-ils sur cette dynamique des ventes ? « Je ne le ressens pas sur le terrain. Nous sommes au niveau de la microéconomie. Même le mouvement des gilets jaunes n’a pas vraiment eu d’impact sur notre activité. » La recette d’Éric Jeanmougin n’existe pas. Tout au plus la méthode. C’est déjà énorme.