Multicloud l'avenir du cloud

Le multicloud est-il l’avenir du cloud ?

Le concept du multicloud regroupe des sources et des ressources multiples auxquelles les S.I. se rattachent. Deux défis se présentent alors : gérer un univers hétérogène et considérer les contraintes énergétiques.

Jan 2023
Par Vincent Verhaeghe

Si vous tombez sur un texte qui vous parle de cloud hybride, c’est sans aucun doute qu’il n’est pas de la toute première fraîcheur. Depuis le début de l’année en effet, le thésaurus des architectures s’est enrichi d’un terme à la mode : le multicloud. Au point qu’il est vite devenu incontournable, notamment au cœur des débats sur de récents évènements comme VMware Explore à Barcelone ou le Dell Technologies Forum à Paris.

Mais que cache ce terme, et surtout, est-il vraiment nouveau ? à l’heure où sont écrites ces lignes, aucune page n’est consacrée au multicloud sur la version française de Wikipédia. En revanche, sur la version en anglais, la page – certes assez famélique – existe depuis 2014… Cela montre que la problématique que recouvre cette notion est loin d’être nouvelle, mais pas encore universelle.

Pour la définir, on peut la comparer au cloud hybride. Ce dernier sous-entend l’exploitation commune au sein d’un même système d’information de ressources provenant d’une infrastructure privée, et d’autres émanant du cloud public. à quelques rares exceptions, c’est le cas de la plupart des entreprises ; il suffit de disposer d’une baie de stockage en interne et quelques licences Office 365 en SaaS pour être en configuration cloud hybride.

Le multicloud élargit cette notion en intégrant le fait que dans bien des cas, les entreprises adressent plusieurs acteurs du cloud public, et ont parallèlement plusieurs infrastructures plus ou moins indépendantes. « Nos clients sont de grandes entreprises, et ce qu’on constate, c’est qu’elles s’appuient en moyenne sur six clouds différents, assortis parfois d’imbrications spécifiques comme des clouds privés hébergés au sein de clouds publics… Quand les hyperscalers sont arrivés avec leurs services, ils ont totalement disrupté le marché de l’infogérance. Voici pourquoi un des aspects essentiels de notre métier est de gérer cette organisation multicloud qui prend des formes très différentes », résume Raphaël Sanchez, VP Alliance chez Kyndryl, ESN récemment créée mais déjà expérimentée puisqu’elle est issue de la sortie d’IBM Global Services du giron de Big Blue.

Rafael Sanchez - Kyndryl

« Passer par l’edge computing rapproche la data des usagers, d’où plus d’efficacité »

Raphaël Sanchez, VP Alliance, Kyndryl

Le multicloud est par nature hétérogène et protéiforme, mais surtout, il n’est pas abordé de la même manière par toutes les entreprises. « Il y a deux façons de voir le multicloud : celui subi par les entreprises, c’est-à-dire souvent issu de couches de services contractées au fil du temps chez plusieurs fournisseurs ou à la suite de consolidations ; et celui décidé par les DSI pour des raisons organisationnelles et stratégiques. L’objectif est bien entendu de passer du premier au second, et notre rôle est de fournir les outils adéquats », explique Aongus Hegarty, président des marchés internationaux chez Dell Technologies. On peut toutefois s’interroger sur l’intérêt de disposer de plusieurs fournisseurs de cloud public.

Orchestrer la complexité

Que l’on parle d’AWS, Microsoft Azure, Google Cloud ou même OVHcloud, la notion d’hyperscaler semble liée à  celle de l’exhaustivité des services. Alors pourquoi exploiter plusieurs prestataires quand un seul pourrait suffire à délivrer ce dont on a besoin ? « Diverses raisons expliquent la nécessité pour une même entreprise de disposer de plusieurs hyperscalers.

Cela peut être lié à un choix technologique. Exemple : Snowflake n’était disponible pendant une période que sur AWS. Les entreprises de dimension internationale obéissent aux contraintes géopolitiques comme en Chine où il est incontournable de passer par Alibaba Cloud. Selon l’index annuel que nous réalisons, plus de 80 % des sociétés sont opérées par au moins deux hyperscalers. Et ce pourcentage est en augmentation : voilà qui démontre que nous nous situons dans un multicloud choisi plutôt que subi », souligne Christophe Bardy, Solution Strategist EMEA, chez  Nutanix.

La question n’est donc pas de savoir comment restreindre la multiplicité des fournisseurs de cloud, mais plutôt comment parvenir à orchestrer cette diversité pour ne pas transformer les S.I. en usines à gaz numériques. D’autant que, comme le précise Aongus Hegarty, chez Dell Technologies, « les entreprises qui utilisent plusieurs prestataires ont 30 % de risques supplémentaires de rencontrer des problèmes ». C’est aussi un rôle nouveau dévolu aux partenaires. Outre les solutions technologiques qu’ils sont par nature amenés à fournir aux clients finaux, la partie conseil sur l’organisation du S.I. et l’imbrication des clouds n’a jamais été aussi prégnante.

Christophe Bardy - Nutanix

« Plus de 80 % des sociétés sont opérées par au moins deux hyperscalers, et ce pourcentage augmente »

Christophe Bardy, Solution Strategist EMEA, Nutanix

Les éditeurs spécialisés sont parfaitement au diapason de leur channel dans ce domaine. Ainsi, lors de son évènement Explore en novembre 2022, VMware a mis en avant sa solution Aria qui se présente comme une console unique de gestion des couches de services dans le cloud, et qui regroupe des outils jusqu’ici certes interopérables mais indépendants les uns des autres comme Tanzu Observability, vRealize ou CloudHealth. Aria comprend notamment Aria Graph, une fonction de cartographie qui fournit une vision exhaustive des applications et services au partenaire.

Nutanix s’est aussi fait une spécialité de ce type de solutions. « Nous proposons une console unifiée qui gère aussi bien les ressources on-premise qu’on-demand, avec en outre une mobilité totale entre les deux. Cela permet de résoudre une grande partie de la complexité du multicloud. Ainsi certains gros projets de migration dans le cloud prennent quelques mois, alors qu’il fallait deux ans auparavant », explique Christophe Bardy, chez Nutanix. Bien sûr, ESN et intégrateurs sont les premiers utilisateurs de ces solutions, car elles leur confèrent un point d’ancrage pour la prise en charge de l’outsourcing de leurs clients.

Mais certains acteurs de la revente vont jusqu’à développer leurs propres outils. « Notre plate-forme Kyndryl Bridge, via des API, se connecte aux applications et services que nos clients utilisent. Même si nous travaillons avec de grandes entreprises disposant d’équipes IT, il manque des compétences dans ces domaines, et nous avons un rôle à jouer » explique Raphaël Sanchez, VP Alliance chez Kyndryl.

Diversité des clouds

Cette orchestration est d’autant plus nécessaire que les types de cloud dépassent la dichotomie entre privé et public. Ainsi, du côté du premier, l’edge computing change la donne en créant des clouds décentralisés qui multiplient le nombre de points d’entrée et bousculent la dynamique de gestion de la donnée. « Même les hyperscalers s’y mettent, puisqu’Amazon passe par l’edge computing pour gérer les infrastructures digitales de ses entrepôts », souligne Christophe Bardy, chez Nutanix.

Et le constat est le même pour des entreprises disposant d’agences ou de filiales locales : elles sont nombreuses à opter pour une infrastructure décentralisée où chaque entité dispose de son propre cloud privé, tout en étant rattachée à un voire souvent à plusieurs clouds publics. « C’est la data qui pousse à cette transformation digitale. Passer par l’edge computing rapproche la donnée des utilisateurs ce qui augmente naturellement l’efficacité », indique Raphaël Sanchez, chez Kyndryl. Avec comme contrepartie d’accroître la complexité globale et donc la nécessité de disposer d’outils d’orchestration globaux adaptés. C’est tout l’objet de solutions qu’on trouve chez les éditeurs comme Edge Compute Stack chez VMware, ou Xi IoT chez Nutanix qui se focalise notamment sur l’IoT, mais aussi chez les constructeurs avec par exemple, le projet Frontier de Dell qui formalise une offre d’infrastructure autour de l’edge.

Aongus Hegarty - Dell Technologies

« Préférer au multicloud subi celui décidé par les DSI pour des raisons d’organisation et de stratégie »

Aongus Hegarty, président des marchés internationaux, Dell Technologies

Côté cloud public aussi la diversité est de mise, mais elle est davantage la résultante de problématiques de géographie et de réglementation, que de choix structurels et techniques. C’est ici le domaine des clouds dits souverains qui, longtemps négligés par les grands fournisseurs, sont considérés comme nécessitant un adressage particulier. « Notre offre multicloud a pour ambition de donner aux entreprises les moyens de gérer leurs ressources IT de façon fluide, quelle que soit le nombre, l’origine et la diversité de leurs prestataires cloud, et notamment quand ils choisissent d’exploiter les services d’un cloud souverain », résumait Raghu Raghuram, CEO de VMware, lors de l’évènement Explore de Barcelone.

Ce n’est d’ailleurs pas forcément un choix car, comme l’explique Christophe Bardy chez Nutanix : « Certains clients du public ou liés à des secteurs sensibles comme la santé ou la défense pour lesquels les hyperscalers ne sont pas une destination, travaillent exclusivement avec des acteurs nationaux. » Reste à disposer d’une offre solide en France où les premières tentatives de cloud souverain avec Cloudwatt et Numergy ont fait long feu.

Rationalisation des services

En parallèle de toutes ces notions de choix vis-à-vis des clouds privés et publics, un critère est apparu : celui de la sobriété énergétique. Considéré jusque-là comme annexe, le voici désormais au premier plan des préoccupations des entreprises.

« Les appels d’offres concernant une transformation numérique dans le cloud nécessitent des informations liées aux bénéfices écoresponsables de l’usage de services on-demand. Au point où les opérations de FinOps d’optimisation des coûts sont indissociables du GreenOps », résume Raphaël Sanchez, chez Kyndryl. Les hyperscalers sont évidemment les premiers conscients de cette évolution, surtout si on considère la hausse du prix de l’énergie. « On nous réclame systématiquement des ROI sur les gains en kWh de nos solutions ; avec des outils comme Beam, nous proposons aux clients et aux partenaires des métriques sur la gestion des coûts qui prennent aussi en compte l’impact environnemental », renchérit Christophe Bardy.

Nombreuses sont les sociétés qui font la chasse aux applications et services facturés, mais pas ou plus utilisés pour diverses raisons (obsolescence, migration, etc.) Ce sont des ressources qui coûtent en abonnement, mais aussi en énergie, et la rationalisation est impérative dans un univers multicloud qui augmente les risques en la matière.

« Préférer au multicloud subi celui décidé par les DSI pour des raisons d’organisation et de stratégie »
Aongus Hegarty, président des marchés internationaux, Dell Technologies

Le SSD au secours de la sobriété

Va-t-on voir disparaître les disques durs des data centers dans les prochaines années ?

Vincent Gilbert - Vast Data

Cette question qui n’avait pas grand sens il y a quelques années, est devenue un vrai débat avec comme principal arbitre la sobriété énergétique. « En termes de capacité, les baies Flash à base de SSD n’ont plus rien à envier aux appliances traditionnelles à disques durs. Non seulement les SSD enregistrent des capacités en hausse, mais en outre les algorithmes de réduction de données comme celui que nous proposons accroît la densité des données », explique Vincent Gibert, Regional Sales Manager SEUR chez Vast Data, éditeur spécialisé dans les solutions Flash. Une baie Flash 2U optimisée propose ainsi jusqu’à 2 Po de capacité tout en consommant une énergie équivalente à celle d’un sèche-cheveux.

Dans son rapport sur la durabilité environnementale, Vast Data affirme ainsi qu’un cluster Flash de 5 Po permet d’économiser sur un an plus de 280 t de CO2 par rapport à l’équivalent en disques durs. « Avec, en outre, des performances sans communes mesures puisqu’en termes d’IOPS, un SSD offre l’équivalent de 2 400 HDD. » L’usage de la mémoire Flash présente d’autres avantages collatéraux : par ses débits élevés, elle réduit aussi les temps de calcul sur les data des CPU, des GPU et de la mémoire, d’où 25 % à 50 % de baisse potentielle de la consommation globale d’une architecture.

Le coût de l’énergie rebat les cartes

Aux premières heures du cloud, l’exploitation de ressources dans un data center distant était aussi présentée comme une manière de réaliser des économies budgétaires. Le coût réel des services a rapidement remis les pendules à l’heure, et si le cloud public offre, bien sûr, de nombreux avantages, le prix n’en fait pas partie. Surtout, cela ne risque pas de s’arranger. La crise énergétique que nous subissons depuis 2022 commence à peser sur les factures des usagers du cloud. L’énergie représentait environ un quart du budget d’un data center, mais avec une électricité dont les tarifs flambent, les opérateurs répercutent les hausses auprès des clients. OVHcloud a ainsi augmenté l’ensemble de ses tarifs de 10 %, et une seconde hausse de 10 % est attendue pour 2023.

Les estimations les plus pessimistes tablent sur le doublement des tarifs des services des hyperscalers. Olivier Micheli, P.-D.G. de Data4 expliquait récemment à nos confrères de l’Usine Nouvelle que le coût du MWh était de 50 € début 2021, et qu’il pourrait atteindre 500 € en 2023 ! Est-ce pour autant une raison pour se rabattre sur une infrastructure privée ? Pas certain car la problématique énergétique sera la même, et le cloud public conserve l’avantage de « mutualiser » la hausse des prix entre ses clients, ce que ne peut pas faire une entreprise seule.