Cloud

Le cloud par défaut, un choix qui peut coûter cher

Le cloud se diffuse lentement dans les PME. Face au coût prohibitif de l’informatique à la demande, certaines entreprises n’hésitent pas à réinternaliser leurs charges. Les DSI restent vigilants.

Fév 2024
Par Benoît Huet

Le cloud, dans la diversité de ses usages, peut apporter de la souplesse et de l’agilité au système d’information (SI) de l’entreprise. Par exemple, il n’y a pas d’infrastructure matérielle à maintenir lorsque l’on fait appel à un cloud public. Pour les applications en mode SaaS, les mises à jour et les différents correctifs sont effectués automatiquement, pas besoin de les récupérer et de les déployer en interne.

En cas de surplus ou de baisse d’activité, il est parfois plus simple pour un responsable IT d’ajuster ses besoins en termes de ressources. Même chose pour investir dans un nouveau projet, car les ressources dans un cloud sont diversifiées et très faciles d’accès depuis une interface à la portée de n’importe quel utilisateur.

« Avec le cloud public, il faut faire attention à l’inflation des coûts générés en termes d’exploitation »

Denis Lamouroux, gérant/DSI chez CJL pour le courtier en assurances Assurinco
Denis Lamouroux - CJL

Les coûts très élevés du cloud public

En listant ces avantages sur le papier, tout paraît simple. Dans les faits, c’est plus insidieux, surtout au niveau des tarifs. « Avec le cloud public, il faut faire attention à l’inflation des coûts générés en termes d’exploitation. Pour certains projets, je pense qu’il est nécessaire d’internaliser. Il faut que chacun, en fonction de son activité, puisse positionner le curseur fiabilité-coût-sécurité au bon niveau. Un vrai travail d’équilibriste ! Pour notre part, nous exploitons des services cloud de manière raisonnée, par exemple ceux d’AWS dans la reconnaissance de caractères, ou encore des serveurs web pour les solutions que nous développons en interne », souligne Denis Lamouroux, gérant/DSI chez CJL pour le courtier en assurances Assurinco.

L’inflation des tarifs du cloud est effectivement un vrai sujet, les prix ont clairement augmenté avec le coût de l’énergie, et les éditeurs de logiciels SaaS sont presque obligés de les répercuter sur leurs abonnements. Cela dit, inflation ou pas, la consommation des services cloud coûte très cher, d’autant qu’elle devient vite addictive. Selon le cabinet d’études Gartner, les prix du SaaS augmentent deux fois plus vite que l’inflation. Par exemple, pour la France, l’inflation du SaaS est 1,8 fois plus rapide que celle des prix à la consommation en 2023.

Pour ne pas répercuter ces augmentations tarifaires auprès de leurs clients, certains éditeurs jettent l’éponge et décident de quitter le cloud, à l’image des éditeurs américains SaaS Basecamp (anciennement 37signals) pour la gestion de projets, et Hey, une solution de gestion de messagerie. Ces deux entités ont été cofondées par David Heinemeier Hansson (voir encadré). Bien sûr, le métier d’éditeur en logiciels SaaS n’est pas comparable à l’activité d’une PME industrielle, où les coûts liés au cloud public sont beaucoup plus faibles. Toutefois, cet exemple a le mérite de faire comprendre comment ces géants du cloud public, avec leur marketing bien rodé, peuvent jongler avec les tarifications qu’ils proposent en jouant sur une multitude d’options payantes, parfois très complexes à déchiffrer.

Pascal Wronski - Verspieren

« Notre objectif est de passer d’un système monolithique à une plateformisation de notre système d’information »

Pascal Wronski, directeur de l’organisation, des systèmes d’information, du digital et des data chez le courtier en assurances Verspieren

Du cloud mais avec parcimonie dans les PME françaises

Les PME françaises ne sont pas si friandes du cloud public. Leurs usages se limitent souvent à la suite bureautique Microsoft 365 et à quelques solutions en mode SaaS, comme c’est le cas avec Symta Pièces, une PME familiale d’environ 90 personnes, à La Roche-sur-Yon (Vendée). Elle commercialise des pièces détachées pour les concessions agricoles. Son DSI, Vincent Dousset, privilégie actuellement le mode on-premises.

Même constat pour les acteurs publics, comme le SDIS 13 (les pompiers des Bouches-du-Rhône). Selon Xavier Noygues, chef de Groupement des systèmes d’information et de communication du SDIS 13, le choix s’est surtout porté sur la souveraineté en mode on-premises, notamment pour garantir un fonctionnement 24 h/24 et 7 j/7 du SI et de ses communications. Seules quelques solutions non critiques ont été portées dans le cloud.

Les établissements hospitaliers, qui sont très souvent la cible des cybercriminels, sont eux aussi très sensibles à la sécurité de leur SI. C’est le cas du centre hospitalier universitaire de Toulouse (Haute-Garonne). « De par la criticité des données patients, nous fonctionnons historiquement dans un mode on-premises. Cependant, nous sommes ouverts à la discussion. Le cloud pose des questions, car il faut que nous assurions notre autonomie en cas d’incident », souligne Nicolas Delaporte, directeur des services numériques.

À titre indicatif, selon le cabinet 451 Research, 54 % des personnes interrogées (des décideurs IT américains) ont déclaré que leur organisation avait déplacé les charges de travail ou les données du cloud public en 2022 vers d’autres sites ; et pour ces mêmes personnes, le principal facteur explicatif concerne la sécurité des informations.

Du cloud associé aux technologies modernes et innovantes

Tout n’est pourtant pas noir dans le cloud. Celui-ci permet de moderniser le SI, surtout quand il est associé à des technologies innovantes et modernes, comme l’usage des microservices, des API ou des approches de type DevOps.

Pascal Wronski, directeur de l’organisation, des systèmes d’information, du digital et des data (Dosi) chez le courtier en assurances Verspieren, peut en témoigner : « Notre système est historiquement architecturé sur du mainframe IBM. C’est toujours le cas aujourd’hui. Des évolutions sont en cours, et notre objectif est de passer d’un système monolithique à une plateformisation de notre SI. Le tout pour communiquer de manière plus fluide avec nos partenaires assureurs et clients, et ainsi gagner en agilité. Cela se traduit par l’adoptio des API, des microservicens et de diverses approches, comme le DevOps. C’est actuellement ce que nous proposons avec notre nouvelle solution d’éditique, une plate-forme cloud agnostique ouverte vers le back-office. »

Peu de responsables IT dans les entreprises prennent ou choisissent ouvertement le cloud par défaut. Tout dépend des projets, des usages, de l’importance des données, du patrimoine applicatif existant, de la sécurité et du niveau de maturité des dirigeants. Dans ce contexte, les entreprises évoluent dans un modèle hybride qui mélange cloud public, cloud privé externalisé et on-premises. Pour le moment.

Sortir du cloud à cause de son prix prohibitif

Sortir du cloud

David Heinemeier Hansson, cofondateur d’origine danoise des éditeurs SaaS Basecamp et Hey, a expliqué, dans une tribune publiée en octobre 2022, avoir abandonné le cloud en raison des coûts très élevés alors qu’il était client des services cloud d’AWS et de Google depuis une décennie. Au total, selon Fernando Álvarez, ingénieur SRE Opérations au sein de ces sociétés, qui s’est exprimé dans un long article, Basecamp et Hey avaient dépensé plus de 3,2 millions de dollars pour tous ces services cloud en 2022. Soit la coquette somme de 266 797 dollars par mois.

Fernand  Álvarez détaille l’exploitation des coûteuses instances bare metal virtuelles, les onéreux services et options autour de Kubernetes. De même, des sommes énormes ont été englouties dans les solutions de stockage objet S3. Outre l’exploitation de ces différents services, l’éditeur Hey faisait face à des charges très irrégulières, et parfois difficiles à appréhender depuis un cloud public. David Heinemeier Hansson en a déduit que les serveurs en mode souscription sont surtout une mauvaise affaire pour les entreprises de taille moyenne à croissance stable, comme la sienne.

Il est plus avantageux d’acheter ses propres machines et de les amortir sur de nombreuses années. C’est ce qu’il a fait en acquérant des serveurs chez Dell. Promis, David Heinemeier Hansson racontera dans un article combien il a économisé en migrant bon nombre de ses workloads vers le cloud privé. Il affirme déjà s’y retrouver financièrement.