tourner la page vers la sobriété

Sobriété : l’impression tourne une nouvelle page

Face à la baisse du volume de pages imprimées, l’industrie du print veut prioriser la gestion des documents numériques, sans renier son cœur de métier. La cause environnementale en sort gagnante.

Sep 2023
Par Frédéric Bergonzoli

Demander à un constructeur d’imprimantes de se projeter dans un avenir où la feuille de papier est bannie des usages, c’est un peu comme, toute proportion gardée, s’enquérir auprès d’un militaire de ce qu’il adviendrait de ses activités une fois les guerres éradiquées de la planète. Un scénario de science-fiction pour l’un, une vaine utopie pour l’autre.

Pourtant, les fabricants constatent le recul régulier du volume d’impression, moins 4 % environ en 2022, selon différentes études du marché. Le Syndicat national des entreprises de solutions et systèmes d’information et d’impression anticipe une réduction significative du volume d’impressions d’ici à 2025. L’enquête qu’il a menée l’an dernier avec IDC auprès de 160 PME françaises identifie la dématérialisation croissante des documents comme le facteur le plus impactant dans la réduction du volume d’impressions (52 %). Viennent ensuite les considérations environnementales (14 %) et les économies réalisées (10 %).

Les pratiques vis-à-vis du papier évoluent fortement… jusqu’à envisager sa disparition ? « Nous en sommes au momentum où on a besoin de numériser des documents qui existent toujours sur papier. On assiste à une mue du marché, avec plus de scans et moins de print. Nous préparons l’avenir où le hardware print aura beaucoup moins d’importance et où nos solutions traiteront 100 % de documents numérisés », indique Antoine Desnos, responsable de la communication chez Xerox.

« Nous ne croyons pas à la disparition totale de l’impression, nous conserverons encore longtemps nos usines et notre R&D dédiées au print. Mais nous restons concentrés sur le document, avec des solutions qui, aujourd’hui, centralisent l’information, tels des hubs documentaires, et agissent comme un agrégateur de contenu », souligne, pour sa part, Benjamin Claus, directeur marketing et communication de Kyocera.

« Dans un hypothétique monde sans papier, non seulement l’impression n’aurait plus sa place, mais la fonction scan des MFP ne serait alors plus très utile. En revanche, les fonctions d’OCR et de classement des documents conserveraient tout leur intérêt », ajoute Laurence Nentas, directrice marketing et communication de Toshiba Tec.

Des avancées technologiques marquantes

Se projeter dans le scénario d’une telle rupture n’a rien d’évident pour les fabricants d’imprimantes. Et pour cause ! En service depuis de longues années et régulièrement adaptées aux évolutions technologiques, l es coûteuses infrastructures qui assurent la production des matériels ne pourraient être abandonnées du jour au lendemain, car il en va de la perte des principaux revenus des constructeurs.

Mais si les volumes d’impression baissent, les rendements des usines aussi. Ainsi, de récents projets de mutualisation des moyens de fabrication traduisent une prise de conscience de la fin d’un âge d’or – Ricoh et Toshiba, par exemple, ont conclu, en mai dernier, un joint-venture dont l’objectif est le développement et la fabrication de multifonctions. Au-delà de la rationalisation, la technologie portée par les solutions s’avère essentielle pour transformer ces appareils connectés au système d’information de l’entreprise en pivots de la gestion documentaire.

Les fabricants s’y attellent depuis des années en développant les capacités de numérisation et de capture des documents des MFP tout en basculant les tâches d’impression dans le cloud, afin de permettre le remplacement des serveurs physiques par des serveurs virtuels et réaliser de sérieuses économies. Les services d’impression gérés tirent parti des avancées accomplies par les constructeurs pour décharger les DSI.

À l’œuvre, l’intelligence artificielle, le big data et l’IoT profitent aux opérations de gestion de flotte. Les multifonctions embarquent désormais plusieurs centaines de capteurs et sont mis sous surveillance constante. La disponibilité des machines, leur taux d’exploitation, leur état de fonctionnement, ou encore le niveau des consommables sont autant de paramètres accessibles en temps réel. En cas de problème, les diagnostics en ligne permettent de réparer à distance ou de dépêcher des techniciens. Grâce à l’automatisation, la maintenance n’est plus seulement corrective mais devient préventive et, mieux encore, prédictive.

Pour répondre aux enjeux sécuritaires, les MFP déploient un éventail de tâches allant de la protection du document à l’authentification de l’utilisateur. Le volet mobilité est également pris en compte par les fabricants, tout comme celui de la personnalisation des multifonctions et leur intégration dans les processus métiers.

Le cœur des machines s’ouvre désormais à des expertises tierces, favorisant le développement d’applications, de connecteurs dédiés aux principaux environnements applicatifs et de larges catalogues d’API. Avec le cloud, le MFP se transforme en borne de services et facilite la distribution à la demande des applications en permettant de les activer ou de les désactiver aussi simplement qu’avec un smartphone. Il se prête également à toutes les opérations de dématérialisation, du traitement des factures et des contrats à la gestion du courrier, qu’il s’agisse de numérisation simple ou de capture.

Des machines plus « vertes »

Mais même partageur, le constructeur conserve toujours un pré carré matérialisé par une plate-forme propriétaire dont l’objectif est avant tout de favoriser l’impression. Cela passe par l’excellence technologique mais aussi par la capacité des solutions à intégrer les applications métiers de l’entreprise et à respecter des exigences liées à la sécurisation des documents.

Ces atouts n’effacent pas les préoccupations environnementales qui interrogent sur la nécessité de consommer du papier, de concevoir des conteneurs en plastique destinés aux consommables et de fabriquer des périphériques bardés de composants similaires à ceux d’un ordinateur. Les industriels se sont penchés très tôt sur les enjeux de l’écoconception afin d’exploiter des matières premières et des matériaux moins nuisibles et réutilisables pour leurs imprimantes comme pour leurs cartouches.

Avec les mêmes préoccupations observées dans une majorité d’autres secteurs, ils cherchent à réduire leur impact global. En « verdissant » leurs lignes de production, ils visent la neutralité carbone entre 2035 et 2050, et incitent leurs fournisseurs à le faire. L’utilisation d’électricité renouvelable, l’adoption de modes de transport propres, de carburants alternatifs et de véhicules électriques pour la livraison des produits, l’efficacité énergétique et la protection des forêts sont les principales mesures avancées pour atteindre cet objectif.

En outre, les fabricants cherchent à sensibiliser leurs clients aux vertus du recyclage, en insistant sur la gratuité de la collecte des cartouches et des imprimantes en fin de vie, et l’intérêt d’opter pour du matériel reconditionné, des consommables conçus avec des matériaux recyclés et des papiers labellisés pour leur faible empreinte écologique. Dans le prolongement des managed print services, le reconditionnement est perçu comme l’opportunité d’alimenter une économie circulaire.

Les partenaires des fabricants sont fortement associés à cette activité, quand ils ne l’assurent pas eux-mêmes lorsqu’ils en possèdent les expertises et les ressources. Signe que les marques orchestrent de plus en plus leurs propres opérations de reconditionnement, les récentes évolutions législatives qui favorisent la réutilisation et qui pourraient entraîner de nouveaux modes de consommation.

Mais plus que l’adhésion, c’est le manque d’application qui semble faire défaut à cette approche : « En promulguant la loi Agec, le gouvernement a demandé aux organismes d’État de favoriser les achats de matériels recyclés à hauteur de 20 %, mais cela ne se traduit malheureusement pas dans les faits.

Malgré les réponses qu’ils reçoivent à leurs appels d’offres, les organismes d’État achètent très peu de matériels reconditionnés, bien en-dessous de la barre de 20 %, et font la part belle aux nouveaux produits », constate Philippe Pelletier, directeur marketing & commercial opérations de Canon.

Avis d’expert

« Le développement durable est au centre du processus d’impression »

Magali Moreau - Sharp

Selon Magali Moreau, directrice marketing et communication chez Sharp Business Systems France, les nouvelles organisations de travail hybride tireront de plus en plus parti de plates-formes permettant d’interagir avec des clients et collègues où qu’ils soient et stimuleront la collaboration distante en entreprise.

« Pour répondre à ces besoins, les MFP devront remplir une première condition, la connectivité, la possibilité d’accéder à tout moment et de n’importe où aux systèmes d’impression, aussi bien pour les équipes métiers que pour les services informatiques. Vient ensuite la sécurité, avec la protection et la fiabilité des connexions, des équipements et des données partagées. Enfin, la durabilité des MFP, qui pousse
à innover pour concevoir et assurer le support des équipements, mais aussi pour en recycler et réutiliser les composants. Ces dernières années, la durabilité de l’environnement de travail a pris une importance majeure. Les MFP en sont l’illustration avec leurs technologies de diagnostic intelligent et leur conception axée sur la réduction du gaspillage. Leurs performances environnementales permettent de réduire leur consommation d’énergie, tandis que leur consommation moyenne (TEC) garantit leur conformité réglementaire. Les principes de l’économie circulaire sont de plus respectés dans le cadre de la conception de MFP, afin d’en minimiser l’empreinte carbone et de maximiser la recyclabilité des composants. »

Les préoccupations liées à la durabilité de l’impression pèsent sur le choix du matériel

boussole durabilité

Selon le rapport « Home Printing Trends » 2023 de Quocirca, les préoccupations environnementales influencent de plus en plus sur le choix des appareils et des consommables.

L’enquête, menée au Royaume-Uni et aux États-Unis auprès d’employés de bureau qui travaillent à domicile au moins un jour par semaine et ont accès à une imprimante, révèle qu’une approche tenant compte de la durabilité joue sur l’évolution des comportements au travail, notamment la dynamique de digitalisation et le choix des produits.

Au cours de l’année écoulée, 40 % des répondants sollicités par le rapport ont acheté une imprimante sur la base de leurs propres références environnementales, et 21 % prévoient de le faire au cours des mois prochains. Plus globalement, une majorité (67 %) serait prête à payer plus pour une imprimante respectueuse de l’environnement. Les personnes âgées de 18 à 34 ans sont les plus susceptibles d’avoir acheté une imprimante en fonction de ses caractéristiques environnementales (46 %), contre 24 % des personnes âgées de 45 ans ou plus. Le groupe d’âge le plus jeune accepterait à 74 % l’idée de payer plus pour une imprimante « verte » par rapport aux 48 % de celui des plus de 45 ans. La même différence générationnelle s’établit pour l’achat des consommables : les salariés les plus jeunes se tournent vers l’achat de cartouches écologiques, relève Quocirca.

Réemploi, réutilisation et recyclage, la règle de trois des achats publics

recyclage de cartouches d'encre

Daté de 2020, l’article 58 de la loi antigaspillage et économie circulaire (dite loi Agec) rend obligatoire l’achat de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées, dans une proportion de 20 % pour les systèmes d’impression et les cartouches, par les services de l’État et les collectivités.

Début 2022, le ministère de l’Écologie a actualisé le décret n° 2021-254 relatif à cette obligation avec une notice explicative dont la vocation est de « faciliter de la manière la plus opérationnelle et pratique possible, l’appropriation de cette nouvelle mesure par les acheteurs publics ». On y trouve notamment la définition des notions de réemploi, de réutilisation et de recyclage.

Pour l’État, le réemploi concerne « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ». La réutilisation correspond, elle, à « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets et sont utilisés de nouveau ».

Enfin, le recyclage est défini par « toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins ».