Réalité virtuelle dans l'industrie

Le virtuel à l’épreuve du réel dans l’industrie

Les réalités immersives tendent à se démocratiser. Mais les professionnels de terrain doivent participer au projet, sous peine de désillusion.

Avr 2022
Par Frédéric Monflier

Prototypage, ingénierie, montage, revue de design, maintenance, formation… Les technologies de réalité immersive, l’une des briques de l’industrie 4.0, sont susceptibles de contribuer à la plupart des étapes de conception, de fabrication et d’exploitation des produits manufacturés. Elles se popularisent, en effet, grâce à l’arrivée de lunettes et de casques toujours plus performants et moins onéreux que les salles immersives (ou « caves »). Mais des installations complexes, commanditées par de grands industriels, les mettent toujours en valeur et illustrent leurs nombreuses possibilités. En témoigne le Digital Lab d’Arcelor Mittal implanté à Uckange, en Moselle, et inauguré en février 2022 – le second après celui de Dunkerque l’an dernier : une salle immersive, dotée d’un mur de vidéoprojection de 6 m de base, y côtoie deux salles de réalité virtuelle avec vidéoprojection 3D relief, ainsi que trois murs d’images tactiles, des tables elles aussi tactiles, etc. L’ensemble sert à la formation du personnel et au contrôle qualité des tôles, notamment. La société Immersion, l’intégrateur spécialisé qui l’a mis en oeuvre, a logé Shariiing, son logiciel de présentation et de collaboration, au coeur du dispositif. « De plus en plus de personnes aux profils multiples, sont à intégrer dans la chaîne de décision, à distance ou localement, justifie Christophe Chartier, P.-D.G. d’Immersion. Le déploiement massif de Teams, Zoom ou Webex, à la suite de la pandémie, a été une opportunité pour Shariiing, devenu compatible avec ces logiciels de communication. On offre un service pour mettre à disposition des données classiques ou immersives à distance, afin de partager une maquette CAO, par exemple. »

Portrait de Christophe Chartier - Immersion

« Cette technologie doit aussi
attirer les jeunes talents »

Christophe Chartier, P-D.G. d’Immersion

ÉCONOMIES DE DÉPLACEMENT

Cette coopération à distance s’appliquant aux images 3D et a été catalysée par la crise sanitaire, bien que la tendance fût déjà notable. Il n’est plus indispensable, pour la revue d’un projet chez un constructeur automobile, d’inviter tout le monde sur place. Dans le cadre d’une transmission de savoirs, le formateur peut dispenser sa session à des apprenants éloginés de plusieurs milliers de kilomètres. Des lunettes de réalité mixte Hololens 2 sont employées à cet effet chez Renault Group au Plessis-Robinson (Hauts-de- Seine), et guident les opérateurs dans la réparation des batteries électriques. « L’expert reste sur notre site et forme les opérateurs répartis dans les usines européennes du groupe », explique Othman Chiheb, responsable des produits Hololens et de la réalité mixte chez Microsoft France. Les indicateurs et annotations que transmet l’expert s’affichent sur la visière de l’opérateur. Même si ce dernier tourne la tête, ces objets 3D sont ancrés dans l’espace modélisé par les caméras des lunettes. « Voilà un des avantages de la réalité mixte », se réjouit Othman Chiheb, chez Microsoft. Les résultats sont concrets : le constructeur automobile économise 300 K€ par an en frais de déplacement ou de logistique, et cela allège de 80 % l’impact carbone de cette formation. « L’effet waouh est derrière nous, déclare Othman Chiheb. Nous voici au stade opérationnel. » Des partenaires tels que Synergiz, Holoforge et Theoris sont en mesure de réaliser de tels projets. Par ailleurs, la boîte à outils Dynamics 365 associée aux Hololens 2 contient une application prête à l’emploi qui accélère la mise en pratique de la téléexpertise, une utilisation qui va en s’intensifiant (lire en encadré). C’est le but recherché par Microsoft. Cependant, la réalité augmentée ou mixte n’a pas encore atteint le degré de maturité de la réalité virtuelle, abondamment répandue dans les phases de conception et de formation. Dans l’idéal, les casques de réalité augmentée ou mixte possèdent les arguments pour s’étendre aux postes de travail : ils ne coupent pas les opérateurs de leur environnement, parfois dangereux. Dans les faits, la démarche reste assez marginale et la killer app se fait attendre. « On ne constate pas encore de déploiement massif », reconnaît Christophe Chartier, chez Immersion. Selon lui, les pratiques sont en cause, pas la technologie : « L’approche cognitive est parfois ignorée. Les preuves de concept sont spectaculaires, mais les opérateurs ne sont pas toujours mis dans la boucle. » À ce propos, les applications sur tablette sont moins contraignantes.

Utilisation casque de réalité virtuelle

« Les opérateurs répartis dans les usines européennes du groupe sont formés par l’expert resté sur site »

Othman Chiheb, responsable des produits Hololens

VERS LE PHOTORÉALISME

À Dunkerque, les Hololens 2 ont été validées au terme de longues procédures, impliquant les syndicats et la médecine du travail. Elles prennent part à la phase d’emballage des bobines d’acier, avant l’expédition. « Les mains libres, l’opérateur scanne le code barre de la bobine et obtient des informations pour l’emballer en adéquation avec le type de transport, détaille Christophe Chartier. Par exemple, un emballage empêchant l’oxydation par le sel est nécessaire par voie maritime. D’autre part, des photos prises avant et après l’emballage servent à prouver l’état de la bobine. » Le gain serait tangible, sans être vraiment chiffré. Selon lui, l’habituelle question du retour sur investissement n’est pas la plus significative : « La technologie doit aussi attirer les jeunes talents. » Surtout, les progrès sont constants et la qualité de reproduction des images devient remarquable. Le casque XR-3 du fabricant finlandais Varjo, en particulier, s’approche du photoréalisme, à tel point qu’il est envisageable dans l’aviation. Il synthétise la plupart des évolutions récentes : suivi oculaire et rendu fovéal pour maximiser la qualité de l’image là où se dirige le regard ; « video see through » plutôt qu’« optical see through » des Hololens qui améliore la superposition des objets 3D, car l’environnement est lui aussi numérisé par des caméras, etc. Le casque de la startup française Lynx est prometteur avec son usage professionnel prévu au départ, mais devrait séduire aussi le grand public. Les murs d’image dédiés à l’affichage des modèles 3D, ou powerwalls, accueillent quant à eux la technologie LED, se substituant aux écrans LCD ou à la vidéoprojection, laquelle demande de l’espace. « Les fréquences sont assez élevées pour afficher des images stéréoscopiques à l’échelle 1:1, indique Christophe Chartier. Avec Leyard, nous avons montré qu’on pouvait rendre ces surfaces tactiles. » Si le pitch (écart entre deux LED) est inférieur à 1 mm, la précision est au rendez-vous, même à proximité de l’écran. Séduits, les grands industriels, séduits, s’équipent. L’enjeu ? Que toutes ces technologies immersives se démocratisent, afin que les PME suivent le mouvement.

LA VIDÉO N’A PAS DIT SON DERNIER MOT

Utilisation casque de ralité virtuelle

D’un point de vue technique, la réalité assistée se place avant la réalité augmentée. Portées par un technicien sur le terrain, ces lunettes équipées d’une caméra transmettent le flux vidéo jusqu’au « sachant », typiquement un ingénieur, parfois situé à des milliers de kilomètres de là. Objectif : éviter le coûteux déplacement de cet expert. Cette démarche de téléassistance ou téléexpertise s’étend à l’industrie et l’énergie, dans le cadre d’opérations de maintenance, d’inspection ou de fabrication. Produites par Vuzix, Realwear ou encore le français Expert Teleportation, ces lunettes disposent d’un miniafficheur qui fournit des données contextuelles et complémentaires si besoin, ce qui les rapproche de la réalité augmentée. Typiquement, la connexion est réalisée en WiFi jusqu’à un module 4G. Le français Ama s’est lui aussi spécialisé dans les logiciels de téléassistance fonctionnant avec de telles lunettes.