Datacenter

Hyperscalers dominants et contestés

L’année 2022 a été agitée pour ces demi-dieux du cloud et de l’infrastructure réunis. Leur valeur dévisse en Bourse, la croissance aussi. L’exercice 2023 serait-il celui du rebond ?

Jan 2023
Par Pierre-Antoine Merlin

Il n’y a pas que la Covid-19. Il y a tout le reste. Chez AWS, comme pour Google et tous les autres, à commencer par Microsoft, une pluralité de facteurs afflige l’économie numérique.

Certes, tous n’en mouraient pas, mais tous étaient frappés. Les ex-stars de la cote comptent leurs abattis. Un seul mot d’ordre : se relever. Car l’élan vital est le moteur du business. Surtout s’il provient de la demande, et pas seulement de l’offre. « Basculer dans le cloud est le meilleur moyen, pour une organisation, de faire plus avec moins », assure Satya Nadella, qui préside aux destinées de Microsoft, et dont la parole compte dans l’industrie. « Tous mes projets sont cloud », répond en écho Philippe Wojcik, directeur cloud chez Oracle France. Et c’est vrai : quelle meilleure réponse qu’une crise de croissance pour susciter défis et audace entrepreneuriale ? « On est en train de passer de la licence au crédit cloud », ajoute, curieux et enthousiaste, Philippe Wojcik.

Sur le terrain, cette assertion se vérifie. Pour une fois, le monde des affaires fonctionne en symbiose. Informatique à la demande, tarification à l’usage, exploration des nouveaux moyens de rétribution pour intéresser la chaîne de valeur : tout est relancé. à commencer par le rôle pionnier du logiciel libre. « L’open source est le berceau de l’innovation. Les clients exigent la réversibilité. Dans ce cadre, Kubernetes se comporte tel que le supermoteur de votre voiture », explique avec pédagogie Yacine Kheddache, Specialist Solution Architect Manager chez Red Hat, un éditeur racheté il y a quelques années par IBM. Là encore, signe des temps, car plus que jamais, nécessité fait loi.

Regis Louis - Oracle

« Toute l’énergie utilisée chez nous est décarbonée, ainsi nous recyclons 99,6 % du matériel »

Régis Louis, VP, Product Strategy, EMEA & JAPAC, Oracle

La souveraineté, mais laquelle ?

Au début de la décennie 2010, l’exigence de souveraineté numérique a fait le bonheur des spécialistes du marketing, et de quelques journalistes. La cause était entendue, au moins en Europe : on allait rétablir aux frontières géographiques ce qu’on supprimait physiquement au nom de la libre circulation des biens, des services et des personnes.

C’est sans doute en France que cet effort fut le plus soutenu, avec le destin contrarié de deux acteurs « souverains ». Après leur chute prématurée, il n’en fut plus question. Voici que le sujet rebondit. Mais subtilement, car entre-temps, l’enjeu n’est plus de protéger les états-nations, mais les données numériques. Et comment faire ? Par quel moyen protéger tous les acteurs de la chaîne de valeur, y compris et surtout le client final ?

Et même : faut-il élargir cette noble cause à l’Union européenne, voire au monde entier ? Tout se complique. Et le problème devient insoluble car les hyperscalers, majoritairement américains, font valoir qu’ils sont, eux aussi, créateurs de richesses sur tous les continents. Qu’on ne peut les rayer d’un trait de plume. Ils contribuent dans les faits à la défense du citoyen, du consommateur, de la croissance et de l’emploi. Comme souvent en pareil cas, chacun détient sa part de vérité, pour paraphraser un ancien président.

Chez OVHcloud, en tout cas, la position de principe a le mérite de la cohérence et de la clarté. Lors d’une réunion tenue en novembre 2022, la société a énoncé plusieurs éléments déterminants pour se différencier des hyperscalers. Ils sont au nombre de cinq : bien sûr, la souveraineté des données, mais aussi le fait d’être un pure player cloud ; de pratiquer des tarifs à la fois prédictibles et transparents ; et d’offrir la réversibilité et l’interopérabilité des systèmes. Mais rien ne sera fera sans la maîtrise des infrastructures, au premier rang desquelles le centre de données.

Le data center, maître des élégances

Beaucoup pensent que le lieu où s’exerce le pouvoir du cloud, l’endroit où il s’incarne le mieux, est le centre de données. C’est facile, et partiellement vrai. En revanche, et c’est incontestable, le data center devient un véritable laboratoire, un concentré d’innovation technologique en mutation permanente. Le triste château d’eau des temps modernes devient l’archétype de la découverte, y compris sur le plan écologique.

Ainsi Oracle réalise un effort gigantesque pour réduire l’empreinte carbone de ses matériels, équipements, bâtiments et installations. Régis Louis, VP, Product Strategy, EMEA & JAPAC, annonce que « toute l’énergie est décarbonée, de sorte que nous pouvons recycler 99,6% du matériel ». Même approche concrète pour Régis Castagné, Managing Director d’Equinix. Le groupe crée en effet « la première ferme urbaine pour chauffer la serre installée sur le toit du data center ouvert à Saint-Denis. Ce même centre de données fournira gratuitement la chaleur de la piscine olympique, elle-même située à proximité ».

Cette poussée du data center comme moteur du progrès est attestée par le succès de Data Centre World Paris fin 2022, où l’on « observe une grande quantité de fusions, d’acquisitions et de partenariats, selon Adrien Boulongne, son directeur. C’est pour cela que nous voulons être un salon extrêmement concret. »

Nicolas Jonet - Cloud Expo Europe

« Pour un fournisseur, le moyen de pénétrer le marché français est de passer par le channel »

Nicolas Jonet, directeur Cloud Expo Europe Paris

Même ressenti de ferveur dans la manifestation-sœur, à savoir Cloud Expo Europe Paris. « Le channel est très fort en France, déclare Nicolas Jonet, directeur du salon. Pour un fournisseur, c’est un moyen de pénétrer le marché français. D’ailleurs, moult exposants qui pratiquent l’indirect viennent avec leur client. Ainsi, d’une façon générale, tout va être lié au cloud, automatiquement. » Cette nouvelle trinité du business, qui relie cloud, infrastructure et rôle prégnant du channel, c’est l’assurance vie du numérique français. Avec ou sans présence majoritaire des hyperscalers.

Questions à Kevin Polizzi, président d’Unitel Group

« Il faut former des value added cloud providers »

Kevin Polizzi -Unitel Group

Comment sentez-vous l’année à venir ?
Compliquée. Elle marquera, je l’espère, le retour à une forme de rationalisation dans l’industrie. C’est sans doute nécessaire pour beaucoup de secteurs économiques, mais plus encore pour le cloud. Il faut retrouver la bonne offre pour les entreprises, en particulier avec le bon prix. Car si le cloud est trop cher, les gens seront tentés de réinternaliser les ressources. Pour éviter cela, et après cinq ans d’exagérations en tout genre, il faut revenir à l’essence du cloud. Encore une fois, pour moi, la plupart des opérations qui passent pour du cloud… n’en sont pas. Car le cloud, c’est bien la flexibilité, la simplicité et la conteneurisation.

Agissez-vous en faveur du channel ?
Nous agissons sans relâche dans ce sens. Ainsi, le rôle de thecamp, qui fait maintenant partie d’Unitel Group, est précisément de former le channel, donc tous les acteurs de la vente indirecte. Dans le cloud, les intermédiaires à forte valeur ajoutée ont toute leur place. à une condition : qu’ils comprennent les changements du modèle d’affaires. Cette prise de conscience, ce mouvement nécessaire vers l’alignement des acteurs, doivent être améliorés, autant sur le plan technique qu’au niveau culturel.

Un mot sur les hyperscalers et les enjeux de souveraineté…
Les hyperscalers ont accumulé des parts de marché énormes. Il faut donc réorganiser le segment et, je le répète, en le rationalisant. Car l’enjeu n’est ni celui de la taille, ni celui de la souveraineté. L’enjeu, pour l’avenir de cette industrie, c’est la compétence d’architecture, le multicloud, et l’homogénéité du data center.