Oleg Bivol - Watsoft

Un calme ardent – Oleg Bivol, Président et cofondateur de Watsoft

Sérénité et business ne vont pas toujours ensemble. C’est pourtant la prouesse que réalise, apparemment sans effort, Oleg Bivol, qui préside aux destinées de Watsoft, un grossiste IT modelé à son image. Portrait d’un homme en mouvement.

Jan 2024
Par Pierre-Antoine Merlin, à Pessac (Gironde). Photos Sébastien Ortola, Andia.fr

L’exercice du portrait a ceci de particulier que son auteur a toujours l’impression, lorsqu’il rencontre pour la première fois son interlocuteur, d’aller progressivement de l’apparence à l’être. Comme une découverte qui se mérite. On perçoit d’abord le premier contact, empreint de courtoisie. Peu à peu, le fond de la personne se dévoile et envahit l’espace. Étonnamment, avec ce premier portraitisé de l’année 2024, c’est l’inverse qui se produit.

Dès l’approche, on est déjà de plain-pied dans son univers. Il est comme poli, dans tous les sens du terme. Chez Oleg Bivol, le fond et la forme, l’essentiel et l’apparence, fonctionnent en simultané avec le naturel désarmant de l’évidence. Quand commence l’entretien, sa trajectoire de vie, émouvante, contée par sa voix si calme, suscite la certitude absolue d’un moment rare.

Oleg Bivol - Watsoft

« En 1992, j’arrive à Périgueux. Je suis accueilli chez des amis. C’est là que je découvre la vie française, dans la France profonde »

En Lada à la découverte de l’Europe

« Je suis né en Moldavie à l’époque du bloc soviétique, d’une mère infirmière et d’un père musicien, joueur de flûte traversière dans un orchestre symphonique. J’ai eu une enfance heureuse avec ma mère et ma grand-mère. J’ai été aimé. » Sans emphase, avec une certaine économie de mots, le patron de Watsoft plante le décor.

Dès son plus jeune âge, il marque une prédilection pour la science, la technique, et s’oriente vers des études d’ingénieur. Heureuse coïncidence, cette attirance pour le monde qui l’entoure s’illustre avec la perestroïka dont Gorbatchev se veut alors le promoteur. Puis il doit rembourser, si l’on ose dire, ses études, en travaillant deux ans pour le compte de l’État moldave.

Oleg Bivol - Watsoft

Une fois cette dernière chicane soldée et son diplôme d’ingénieur en poche, le jeune Oleg entame un grand tour de l’Europe en Lada. « Ma première vision : l’Europe ne correspondait pas à ce que la propagande nous avait décrit. On se doutait bien que tout n’était pas décadent, mais guère plus. En fait, on ne savait pas grand-chose. » C’est alors l’ouverture des pays de l’Est, et notamment de la Moldavie, au marché.

Toujours curieux, intéressé, mobile à souhait, Oleg Bivol veut connaître et se familiariser avec l’entrepreneuriat à l’occidentale. « Je parlais déjà bien français, sans jamais avoir été en France. C’est lié au fait que la Moldavie était la seule république de l’ancienne Union soviétique à être dotée d’une culture latine. C’est la raison pour laquelle le français était la seule langue étrangère enseignée en classe. » Coup de chance. Mais, de son propre aveu, la chance a toujours souri à Oleg Bivol. Encore faut-il s’en saisir.

« En 1992, j’arrive à Périgueux. Je suis accueilli chez des amis et j’obtiens une inscription à l’université
de Bordeaux. C’est vraiment là, à Périgueux, que je découvre la vie française. Dans la France profonde donc. Exactement comme je le voulais, c’est-à-dire coupé de la diaspora. D’ailleurs, je constate rapidement que les Périgourdins sont très accueillants ! »

Une vie qui lui ressemble

Une étape de plus est franchie avec l’ouverture vers l’international mais encore plus loin, aux États-Unis. Une bourse d’échange avec Berkeley, et le voici en Californie. Entre ses jeunes années derrière le rideau de fer, puis en France et en Amérique, l’expérience d’Oleg Bivol est déjà multiple. Avec une constante, le mode de vie français lui plaît.

« Toute ma vie, j’ai rencontré des gens qui ont voulu m’aider, en particulier en France. Pourtant, on dit que les Français sont renfermés sur eux-mêmes… Mais cela ne correspond pas à ce que j’ai vécu. Quand on voyage beaucoup, on se rend compte à quel point on a de la chance d’habiter en France. De surcroît, le système économique et social français me semble être un bon compromis. Ce n’est ni le libéralisme débridé qu’on observe aux États-Unis, ni le capitalisme sauvage qu’on constate de plus en plus aujourd’hui dans l’ancien bloc de l’Est. »

À son retour en France, le jeune globe-trotteur trouve un emploi chez Quaternet, un fournisseur d’accès internet bordelais. C’est là qu’il rencontre Stéphane Bec. Un coup de foudre amical qui jouera, et joue encore, un grand rôle dans sa vie professionnelle. Car, en 2001, la nouvelle économie s’effondre. À la frénésie fondée sur l’enthousiasme, mais aussi sur du sable, succède la déprime.

C’est le bon moment pour créer, au sein même de la chaîne de valeur, une entreprise tournée vers l’avenir, mais sans fébrilité inutile : Watsoft. « Avec Stéphane Bec, qui a créé la société avec moi, on se comprend. Il faut être ni trop pareil, ni trop différent. Cela fonctionne bien et ça marche toujours ! Nous avons en commun d’être curieux, créatifs, avec la volonté d’aider les gens à être autonomes. De fait, la société monte et se développe jusqu’à aujourd’hui : ce sont les “vingt glorieuses” ! » Fidèle à ses conceptions qui font de lui un personnage à la fois modeste et ambitieux, Oleg Bivol se hâte lentement. « L’intuition de départ
s’est confirmée depuis les premières années. On a été très prudents. Les équipes sont montées avec nous, et on a mis en place un management intermédiaire. » Et d’ajouter : « On a appris des erreurs des autres », et non « on a appris de nos erreurs ». Un glissement sémantique malicieux et discret. C’est tout lui.

Le goût des autres comme méthode de management

Oleg Bivol - Watsoft

Cette disposition au pilotage des équipes est une des grandes forces de Watsoft. Interrogé sur le fait de savoir s’il est plutôt directif ou prompt à déléguer, le président du groupe répond en déplaçant la question sur le terrain concret. Le seul qui vaille. Affirmation en deux temps, et qui résume tout. « On fait confiance. Ce qui compte, ce sont les indicateurs clés (key performance indicators [KPI]). »

Comme souvent avec Oleg Bivol, il complète son propos en le rapportant à une vision globale de la vie dans l’entreprise. « Le coaching sportif m’a aidé à comprendre le management et la culture du résultat, tout en restant bienveillant. » Exemple : la gestion des équipes s’incarne dans les éléments de rémunération, qui comprennent des objectifs collectifs mais aussi des objectifs individuels. Facile à énoncer, peut-être plus difficile à faire. « Cela prend beaucoup de temps », concède Oleg Bivol.

« Avec Stéphane Bec, qui a créé la société avec moi, on se comprend. Il faut être ni trop pareil, ni trop différent. Cela fonctionne bien ! »

Autre sujet, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. « Ils sont moins accros au travail. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’IT recherche activement de la main-d’œuvre qualifiée. Pour attirer les jeunes et les retenir, il y a bien sûr l’argent et les avantages de toutes sortes, mais aussi la construction des bâtiments, les aspects écologiques, les véhicules électriques, le télétravail… Le calme et la liberté comptent beaucoup. »

Cela tombe bien, ce sont les valeurs de Watsoft. Il faut ajouter à cette énumération, non exclusive, des éléments managériaux, une curiosité intéressante : « On a un coach commercial qui aide les commerciaux à progresser. D’une façon générale, il faut trouver les équilibres dans les déséquilibres particuliers. »

« Le coaching sportif m’a aidé à comprendre le management et la culture du résultat, tout en restant bienveillant »

Oleg Bivol - Watsoft

Et maintenant ?

Oleg Bivol trace son sillon. Sa trace est bien présente, construite, malléable, adaptable, et simultanément dotée d’une structure verticale à toute épreuve. Questionné sur la façon dont il voit l’avenir, et notamment sa dernière partie de carrière, il marque un temps puis répond avec le calme dont jamais il ne se départit : « J’ai encore de l’énergie. Je veux continuer à être utile et à transmettre. Par exemple, j’aimerais conduire une expansion internationale qui pourrait commencer par l’Europe du Sud. Je crois être un citoyen du monde. J’aime beaucoup découvrir, mais j’aime beaucoup revenir. »

Là encore, c’est une illustration de son tempérament. Oleg Bivol se projette mais reste fidèle à ses racines, qui sont européennes, au sens large du terme, et diversifiées. Il pourrait dire à la suite d’Apollinaire, venu de l’Est lui aussi, « je connais des gens de toutes sortes ». Il a en lui « une harmonie à construire.
Je suis un homme heureux, notamment par les rencontres que j’ai faites. Ainsi, ma femme travaille avec moi dans l’entreprise ».

Visiblement, il souhaite aller le plus loin et le plus longtemps possible. Avant de conclure cet entretien, une question taraude son portraitiste : la sagesse tranquille dont il gratifie son entourage est-elle absolue ou une façon de se présenter ? Autrement dit est-il vraiment d’un calme olympien ou s’agit-il d’un nerveux rentré ? Sans ambages, il concède que, sans doute, il a des moments de nervosité. On a presque envie de le remercier… Enfin un petit défaut !

« Le coaching sportif m’a aidé à comprendre le management et la culture du résultat, tout en restant bienveillant »

Repères

Oleg Bivol a 55 ans.
Il est marié et père de deux enfants.

Parcours

1968 – Naissance à Chisinau, capitale de la Moldavie.
1975 – Lycée numéro un. Il amorce sa scolarité, toujours dans la même ville.
1985 – Il obtient l’équivalent du baccalauréat.
1990 – Université technique de Moldavie. Ingénieur en électronique.
1998 – Université de Bordeaux, master en création et gestion des projets innovants.
1996 – Quaternet, chef de projet et commercial.
Depuis 2001 – Président et cofondateur de Watsoft avec Stéphane Bec.

J’aime

Musique Brassens et Brel.
Littérature Conan Doyle, les livres d’aventures sur l’Amérique et ses pionniers.
Cinéma Robert De Niro, qui incarne une certaine vision de l’Amérique. Louis de Funès et l’équipe du Splendid.
Lieu L’Islande pour le feu et la glace, et les Açores pour la beauté des paysages.
Gastronomie Je suis gourmand. J’aime le cozido, une sorte de pot-au-feu cuit à la vapeur de volcan.
Passions La technique des ondes radio et les voyages.
Sport et loisirs Nous sponsorisons plusieurs clubs, dont un de rugby. Je pratique la marche.