Habitué à camper sur une réserve de bon aloi, il peut tout aussi bien accorder sa confiance quand les conditions lui paraissent réunies. Voici Jean-Pierre Tournemaine, secret et disert, attachant et unique.
Avr 2025
Par Pierre-Antoine Merlin. Photos Jim Wallace.
C’est une rencontre qui a bien failli ne pas avoir lieu. Un rendez-vous long à fixer, une réticence du portraitisé potentiel à se livrer et à accepter la séance photos : tout augurait mal de la suite des événements. Pourtant, sitôt en confiance, ce qui en dit long sur son caractère, Jean-Pierre Tournemaine se lance dans un tourbillon enthousiaste. Car il veut embrasser le monde, le dire et le crier. Son élan vital est communicatif, au point qu’une existence d’homme n’y suffira pas. Pour le journaliste chargé de transcrire sa parole, c’est une joie et une difficulté : l’envie de partager et de transmettre est là, mais comment canaliser avec exactitude une parole libre et multiple ? Peut-être, pour être au plus près de la simplicité requise, en commençant par la genèse personnelle et familiale de ce chef d’entreprise, en herbe, à l’époque. « Je nais à Bordeaux en 1969 d’un père cadre dans l’industrie et d’une mère pharmacienne. Bordeaux est une grande ville, certes, mais, en réalité, je passe mon enfance en pleine campagne, dans un village des environs, explique le futur directeur régional de Vertiv Europe du Sud. Je n’ai jamais manqué de rien, mais je n’ai jamais eu beaucoup. Ce n’est pas une tristesse pour moi, pas du tout, car j’ai fait l’expérience de la liberté grâce à cette enfance campagnarde. Un peu moins après, bien sûr, quand je suis devenu pensionnaire à Bordeaux. Là, c’était plus cadré. »
« J’aimais le code d’une façon générale, et surtout ce qu’on appelle la programmation. »
Assez rapidement, au collège comme au lycée, il éprouve une dilection particulière pour les maths, la physique et la biologie. Sciences exactes et expérimentales donc. C’est une première indication sur ses goûts, et, partant, pour sa carrière. Une fois son bac en poche, heureux de ce sésame obtenu en section économique, le vaste monde l’attire. « À la vérité, tout m’intéresse. Quand je vois quelque chose, je me dis : comment en est-on arrivé là ? Je ne m’ennuie jamais. » Ses penchants naturels affichent néanmoins une certaine cohérence. Car, petit à petit, les choses vont se décanter à la faveur d’une divine surprise qui va beaucoup influer sur la suite : l’arrivée en force des nouvelles technologies.
Passionné par les nouvelles technologies
Ce phénomène de société, ludique et multiforme, va agir comme un fédérateur, voire un catalyseur de goûts pour le jeune Jean-Pierre. La science, la nouveauté, tous ces éléments concourent chez lui à une projection vers l’avant. Il est insatiable et veut tout connaître. « C’est le cas avec les consoles vidéo qui m’ont tout de suite fasciné, mais aussi avec le fameux ZX81, ordinateur 8 bits conçu par Sinclair Research. J’aimais le code d’une façon générale, et surtout ce qu’on appelle la programmation. » En évoquant de tels souvenirs, si intensément présents à son esprit, Jean-Pierre Tournemaine jubile encore. Pour lui, c’est la vie en couleurs. Ces objets, ultranovateurs pour l’époque, sont l’incarnation rêvée de ses envies. Car la techno au sens large a la particularité enviable d’englober la recherche, l’économie, le business, la découverte, l’imagination et la sensibilité. C’est ce qui lui plaît. « Dans la vie, il faut toujours aller du général au particulier », martèle-t-il à plusieurs reprises durant cet entretien. Du big data jusqu’au raffinage des données, avec pour aboutissement l’aide à la décision, le cheminement personnel marche de pair avec la logique même du secteur numérique : ajuster la focale pour aller du général au particulier.
« C’est génial d’être dans une entreprise qui se réinvente tout le temps, innove et se soucie de la progression des salariés ! »
Un management responsable
Abordant sa vie professionnelle après avoir « fait » une école de commerce, Jean-Pierre Tournemaine va trouver de quoi accomplir son envie d’influer sur le cours des choses. « Au milieu des années 1990 et dans les années qui suivent, on est en pleine période de dérégulation des télécoms, avec la montée conjointe de l’ERP puis du CRM dans la structuration des entreprises, des process et du management. Je vis tout cela avec beaucoup d’intérêt. Dans mes fonctions commerciales, si je suis performant, je n’influe pas seulement sur le cours des choses d’une façon générale mais bien sur ma feuille de paie », précise-t-il avec humour. Il a trouvé sa voie : être concret. Faire progresser les autres et progresser soi-même. Une trajectoire dont il ne variera plus. À mesure qu’il progresse dans sa carrière, orientée sur l’informatique, les réseaux et les télécoms, il se consacre de plus en plus au milieu du data center. Ce n’est pas une façon d’étroitiser le propos, car le centre de données incarne à peu près la totalité des ingrédients qui composent l’économie numérique. Le data center en est à la fois le soubassement et l’incarnation. Chez Verizon, puis chez Interoute, Equinix et maintenant au cœur du réacteur chez Vertiv, c’est la même histoire qui se déroule, se prolonge, s’approfondit et se diversifie sur le plan géographique. « Les façades atlantique et méditerranéenne offrent des emplacements idéaux pour les centres de données. On pense bien sûr à des villes comme Bordeaux, Marseille, mais aussi à des régions telles que la Bretagne. » Confronté à l’ensemble de ses défis qui font du data center une version du château d’eau de nos ancêtres, Jean-Pierre Tournemaine se doit d’appliquer une conception circonstanciée et attentive du management. « J’occupe des fonctions à responsabilité dans une entreprise qui se réinvente tout le temps, qui innove en permanence et qui se soucie toujours, en parallèle, de la progression de ses salariés. C’est génial d’être dans une telle entreprise ! D’ailleurs, cela se vérifie sur le terrain : les gens y restent volontiers. Même dans les chiffres : la moyenne d’âge y est un peu élevée. En Italie, par exemple, c’est au point que certains ne veulent pas partir à la retraite ! » Pour obtenir l’adhésion des cadres et employés, le patron de l’Europe du Sud est attentif à plusieurs paramètres. « Ce qui compte, c’est l’exécution. Et pour que l’exécution soit optimale, il faut que la stratégie soit lisible. À l’arrivée, tout est toujours une question de personnes. » Pour illustrer sa praxis, Jean-Pierre Tournemaine prend l’exemple du confinement et de la stratégie post-Covid. « Dans les jours précédant le confinement, nous nous sommes assurés que chaque collaborateur avait l’équipement matériel pour travailler de chez lui. Puis, j’ai organisé tous les jours un bridge de deux heures pour ceux qui le souhaitaient, de manière à maintenir le lien. » Après la levée des restrictions sanitaires, il a fallu gérer le retour, partiel, au bureau. « De ce point de vue, je ne suis pas freestyle. Les choses sont formalisées. Le RTO (return to office) est un échange : on discute de l’organisation et du fonctionnement. Chacun fait preuve d’initiative. Sachant qu’en moyenne, on est plutôt en présentiel, les gens aiment se retrouver. » C’est vrai ; lors de notre arrivée dans les locaux à l’heure du déjeuner, on entendait parler et rire. Et Jean-Pierre Tournemaine de glisser un élément important : « Ce qui compte, c’est d’arriver à distiller la culture d’entreprise à distance. » Important en effet, quand il en existe une. Pour les autres, ça ne change rien.
« Quand je déciderai de m’arrêter, que je le voudrai, j’espère que ce sera assez tôt. »
Une époque extraordinaire
À 55 ans, Jean-Pierre Tournemaine est encore loin de penser à la retraite. Mais il a déjà une vision assez nette de ce qu’il apprécie et envisage. Avec une certitude intangible : « J’aime beaucoup ma cellule familiale et professionnelle. Et j’aime toujours venir travailler. Vertiv est une entreprise impliquée à fond dans l’économie numérique, dans le domaine scientifique, technique, commercial. Dans tous les domaines en réalité. Et ce, au moment précis où surviennent de grands enjeux et bouleversements géographiques, politiques et stratégiques. C’est donc une époque extraordinairement passionnante que nous vivons. Nous sommes au centre de tout cela. Pour ce qui me concerne, je crois à la motivation individuelle et collective, à la capacité de se relancer, à l’efficience. C’est ce que je m’efforce de mettre en œuvre. » À moyen terme, d’autres défis, plus personnels, l’attendent. « Quand je déciderai de m’arrêter, c’est-à-dire que je le voudrai, j’espère que ce sera assez tôt. Je veux m’arrêter suffisamment tôt pour avoir la capacité de faire ce que je n’ai pas fait. Par exemple, voyager dans des endroits où je ne suis pas encore allé, retourner là où je voudrais revenir, rencontrer des gens que je n’ai pas rencontrés, découvrir des cultures différentes. Prendre un billet aller ! » Ce qui ne veut pas dire, éprouve-t-il le besoin de préciser, la tentation de ne jamais revenir. Encore un signe de délicatesse pour la famille et les amis. Partir pour ne rien regretter, revenir pour retrouver les siens. La profusion d’idées et de sensations qui ont été brassées lors de ce rendez-vous peut se résumer d’une façon lapidaire : irréductible optimiste, Jean-Pierre Tournemaine est un dispensateur d’élan vital. On peut même dire qu’en travaillant sa façon si particulière, si sensible, d’être au monde, il a trouvé son meilleur rôle : professeur d’énergie.
Repères : Jean-Pierre Tournemaine a 55 ans. Il est marié et père de trois enfants.
Parcours
1969 : Naissance à Bordeaux. Baccalauréat série B (économie), puis diplôme de l’école de commerce Inseec 1995 : Banque industrielle et mobilière privée, Consultant et auditeur 2000 : Verizon, Directeur des ventes 2012 : Interoute, Directeur commercial, puis directeur général 2016 : Equinix, Directeur commercial 2019 : Vertiv, Country Manager France Depuis 2022 : Accède au poste de directeur régional Vertiv pour l’Europe du Sud
J’aime
Musique : J’aime toutes les musiques : classique, mais aussi Queen, The Weeknd, Andrew Gold. Livres : Le Comte de Monte-Cristo, Le Grand Meaulnes, Arsène Lupin, parmi beaucoup d’autres. Cinéma : Tout ce qui est créatif, les polars d’Olivier Marchal, les comédies romantiques. Lieux : J’adore les États-Unis et le Maroc, mais aussi ma région d’origine, le Sud-Ouest, de La Rochelle à Hendaye. Gastronomie : J’aime cuisiner. Outre la cuisine française, j’apprécie les cuisines italienne, espagnole et marocaine. Mon plat préféré est le couscous. Côté vin, moins bordeaux que bourgogne, mais surtout côtes-du-rhône. Passions : La montagne et la mer. Je suis fan de l’Océan, car les choses ne s’y répètent jamais vraiment. Loisirs : J’ai pratiqué le rugby étant jeune. J’aime le golf. On peut tout rattraper sur un coup ! C’est le seul sport qui offre cette possibilité.