Discrète, humaine et efficace – Christina Decker, Director Strategic Channels Europe, Trend Micro

Cette dirigeante fonde l’essentiel de son action sur la confiance et le partage. Une disposition d’esprit qui n’exclut pas des résultats tangibles. Au contraire, elle les favorise. Portrait d’une femme engagée avec bonheur dans tous les compartiments de sa vie.

La filiale française de Trend Micro, éditeur japonais de logiciels de sécurité, est située dans un quartier résidentiel de Rueil-Malmaison, à l’ouest de Paris. Dans des locaux aux allures de cottage anglais, il flotte une ambiance bon enfant, décontractée et cependant studieuse. Est-ce la culture d’entreprise qui se fait valoir ? En tout cas, l’arrivée matinale de Christina Decker, responsable du channel pour l’Europe, s’inscrit parfaitement dans la tranquillité immanente des lieux. Elle s’y exprime sans emphase, avec discrétion mais précision, alternativement en allemand, sa langue maternelle, sur les questions personnelles, et en anglais, celle des affaires, sur le business et le management.

« J’ai trouvé que, dans le milieu de l’IT, tout était toujours nouveau. Et qu’il y avait peu de femmes ! C’est encore le cas »

Une enfance allemande

« Mes parents étaient des indépendants, très occupés, ils géraient une grosse pâtisserie. Mon père était d’origine autrichienne. On était musiciens dans la famille, plutôt artistes. » La jeune Christina expérimente, pour le bien parfois, ou pour des effets mitigés en d’autres occasions, les conséquences d’une éducation marquée par l’autorité.

Une configuration formatrice, à n’en pas douter, qui aide à reproduire le modèle, ou à s’en éloigner. Ce qui l’a sauvée : la passion. L’envie d’être. De progresser. « Je fais tout par passion et par inspiration. C’est vrai pour le travail comme pour les relations humaines. C’est cela qui me motive. Quand on est soi-même amené à diriger des gens, il faut avoir la passion en soi. »

Pour Christina Decker, qui a monté les échelons chez Trend Micro depuis près de vingt ans, l’essentiel repose sur l’échange avec les autres, y compris et surtout avec ses propres équipes. « On atteint davantage de choses en privilégiant la communication et la confiance. Et aussi, très important : la situation est différente pour chaque personne. »

Cette envie de partager pour avancer est-elle liée aux aspects autoritaires éprouvés lors de ses années de formation, à l’époque du patriarcat ? On serait porté à le croire, mais pas la principale intéressée. « Non, je ne le crois pas. C’est simplement que l’esprit positif était en moi. »

« Trend est une société dans laquelle chaque personne compte. J’accorde beaucoup d’importante à l’écoute »

Le pouvoir des livres

À l’appui de ses dires, une fois n’est pas coutume, la patronne du channel en Europe tient à expliciter les actes fondateurs de son parcours. Il s’agit en particulier de livres qui ont compté pour leur valeur d’exemplarité. Elle souhaite évoquer Atomic Habits, de James Clear, « qui révèle le pouvoir des petits changements pouvant conduire à des résultats remarquables ».

Dans un genre très différent mais auquel elle tient, Christina Decker mentionne Rich Dad Poor Dad, de Robert Kiyosaki. Cet ouvrage « permet aux lecteurs de prendre le contrôle de leur avenir financier en comprenant les principes de la création de monnaie et de l’investissement ». Et ce n’est pas tout : « J’ai été impressionnée par le livre autobiographique de Nelson Mandela, Long Walk to Freedom. C’est un homme inébranlable dans ses convictions. Son histoire est celle de la résilience et de la possibilité
du pardon. Elle agit comme un puissant rappel de la capacité humaine à espérer et à changer. »

Enfin, Christina Decker est une fervente admiratrice de Carly Fiorina, ex-CEO d’HP. Une femme exemplaire à bien des égards, et sans doute la plus marquante de l’histoire du groupe. Son ouvrage de référence s’intitule Tough Choices. « C’est un bilan honnête de sa trajectoire vers le leadership. Il offre des leçons précieuses, notamment sur le mécanisme de la prise de décision. »

De l’IT au channel

Pourquoi avoir choisi l’IT, l’informatique, les réseaux et les télécoms, au moment d’embrasser une carrière ? Christina Decker a vécu les heures glorieuses de la « nouvelle économie », il y a une bonne vingtaine d’années. Même si celle-ci a fait long feu, la future dirigeante a perçu le caractère vibrionnant du numérique et de la tech en général. « J’ai trouvé que, dans ce milieu, tout était toujours nouveau, à découvrir. Et qu’il y avait peu de femmes dans cette industrie !

C’est d’ailleurs encore le cas. » L’attrait de la nouveauté, elle-même toujours renouvelée, et l’ouverture de tous les possibles, convainquent Christina Decker de se lancer. D’abord en occupant de multiples fonctions chez Trend, puis en amorçant une nouvelle phase de son parcours : le pilotage du channel en Europe. Toujours l’attrait du défi, même si l’exercice est périlleux. « Les débuts ont été difficiles. Quand vous dirigez une équipe, vous connaissez le champ d’action et les acteurs. C’est bien délimité. Mais quand vous prenez la responsabilité du channel, alors là tout change : c’est très large ! Il faut connaître tout le monde, toutes les cultures, tous les programmes, y compris bien sûr à l’international. C’est très challenging. Un vrai défi. Mais j’aime ça ! »

De fait, les entrepreneurs et dirigeants d’entreprise se divisent en deux catégories : ceux qui travaillent dans leur zone de confort, pour se sentir managers mais sans prise de risque inutile, et ceux qui aiment oser. Clairement, la désormais responsable des channels stratégiques pour l’Europe appartient à la seconde catégorie. Pour elle, oser c’est vivre. Aider les partenaires, s’assurer qu’ils excellent dans leur domaine, sachant que celui-ci est en mouvement permanent, est une tâche à la fois rigoureuse et exaltante.

« Quand vous prenez la responsabilité du channel, il faut connaître tout le monde, toutes les cultures, tous les programmes… C’est très challenging. Mais j’aime ça ! »

Harmoniser et exécuter

Pour Christina Decker, tout marche d’un seul tenant. La vie familiale, la vie des affaires, la volonté de mettre en œuvre le précepte Mens sana in corpore sano, sont les ingrédients constitutifs d’un même ensemble. Sans oublier, cruciale pour elle, la place faite aux femmes dans l’entreprise comme dans la société. Concernant l’animation de la chaîne de valeur, les choses sont claires. Il faut harmoniser les processus tout en laissant une large autonomie au niveau local.

Mais ce doublement n’est-il pas en soi contradictoire ? « Pas du tout, estime-t-elle. Quand on travaille très proche les uns des autres, il n’y a aucune contradiction. Il faut laisser beaucoup de liberté aux acteurs
de cet écosystème. » C’est l’application stricte de la subsidiarité chère aux pères de l’Europe. Sauf qu’elle n’est jamais appliquée.

Reste une question qui taraude : par quelle succession de miracles une telle longévité dans l’entreprise ? À l’heure où le numérique bouscule tout, les carrières sont de plus en plus hachées. Vingt ans dans la même entreprise est exceptionnel. La réponse l’est tout autant. « Trend est une société dans laquelle chaque personne compte. J’accorde beaucoup d’importante à l’écoute. Il faut savoir écouter. Je crois en être capable. Dans notre entreprise, l’attention dont bénéficie chacun est telle qu’on peut toujours faire des choses différentes. Moi-même, j’aime rencontrer les partenaires et les clients. Et l’évolution du marché, spécialement dans le domaine de la cybersécurité, est à peu près infinie : tout ce qui arrive en matière d’intelligence artificielle, de menaces en tout genre, sans compter ce qui va survenir et qu’on ne connaît pas encore, ouvre le champ des possibles. »

Et maintenant ?

Quand on l’interroge sur la suite de son parcours, Christina Decker n’hésite pas un instant. Elle veut se consacrer, avec encore plus de force, à l’inclusion de toutes les ressources humaines dans l’entreprise. Pour que l’égalité des chances et la capacité de se projeter soient une réalité. Cela commence par la cause des femmes. « Je voudrais aider les femmes à entrer dans le domaine de l’IT et de l’économie numérique.
Il y a un manque qui perdure. Pour beaucoup de raisons, et cela commence par l’éducation, l’instruction. Inconsciemment, on cantonne encore les filles à certains travaux. Cela demeure ancré. Or, que ce soit dans la vie personnelle et familiale, lors des années de formation, ou plus tard, dans la vie professionnelle, il faut mettre les hommes et les femmes ensemble. C’est ainsi qu’on avancera. »

Dans sa défense et illustration de la cause des femmes, il faut donc distinguer deux éléments : d’une part, l’insuffisance de leur nombre dans les métiers du numérique. D’autre part, leur faible représentation dans les cénacles dirigeants. C’est un défi immense à relever. Heureusement, Christina Decker est aidée dans cette tâche, un quasi-sacerdoce, par la détermination de son employeur. Car c’est une femme, Eva Cheng, de nationalité japonaise née à Taïwan, qui a cofondé Trend Micro. Elle en est aujourd’hui la directrice générale. C’est sous sa houlette bienveillante et lucide qu’elle a fait évoluer l’éditeur, longtemps cantonné à la conception de logiciels antivirus, à la prise en compte de l’informatique à la demande et de la tarification à l’usage. Épaulée par Eva Cheng et l’ensemble de l’équipe dirigeante, cette lutte pour la diversité, l’inclusion et l’équité fait partie des objectifs de la responsable du channel européen.

Au moment de prendre congé, on perçoit une unité profonde dans la personnalité de Christina, aussi discrète, timide même par instants, que résolue et déterminée. C’est ce mélange symbiotique qui fait sa raison d’être. Sa vie est comme ancrée dans une volonté immuable : l’enrichissement et le progrès mutuel. Une impression d’autant plus forte et durable que Christina Decker demeure en toute circonstance modeste et réfléchie. L’esbrouffe n’est pas son fait, et c’est incroyablement reposant.