Structurer le cycle de vie des produits
De l’approvisionnement à la récupération de matériel usagé, les grossistes revisitent les circuits de distribution et orchestrent les flux en s’appuyant sur la vague de la transformation numérique.
Jan 2024Par Frédéric Bergonzoli et Vincent Verhaeghe
Les responsabilités traditionnelles des distributeurs informatiques ont évolué au long cours. La rationalisation des processus et des opérations liés au métier de grossiste conduit désormais à une forme d’automatisation des activités. Même à l’ère des ERP et autres CRM boostés à l’intelligence artificielle pour améliorer l’expérience client, la chaîne de valeur du grossiste repose sur un principe immuable : acquérir un avantage concurrentiel en articulant le mieux possible l’offre d’un catalogue avec la façon dont elle est délivrée aux revendeurs et la vitesse à laquelle elle est acheminée. Si la constitution de leur portefeuille relève de choix stratégiques, les distributeurs ont dû s’adapter à l’avènement de l’industrie 4.0, qui est la concrétisation de la transformation numérique des opérations de fabrication et d’où découlent une prise de décision en temps réel, une productivité, une flexibilité et une agilité accrues.
L’usine intelligente et ses robots alimentent le commerce électronique, et font franchir à la chaîne logistique de nouveaux paliers en termes d’efficacité et de transparence. Aujourd’hui, des plates-formes relient sans interruption les personnes, les machines et les données pour personnaliser la production, la préparation et la livraison, au point de diminuer considérablement les coûts de stockage. « Quand nous vendons une appliance, l’offre a été packagée en amont par le fournisseur et est spécifique au client. Comme nous ne la stockons pas, nous travaillons avec un stock quasi nul. Les fournisseurs avec lesquels nous travaillons n’encouragent pas à faire du stock en raison de la complexité que cela induit en termes de flux financiers : aujourd’hui, chaque dossier donne lieu à une cotation, puis à une commande et à une livraison », illustre Jean-Baptiste Pommé, directeur général de Miel.
Pour autant, les produits dits de volume passent toujours par les entrepôts des grossistes. Les grands groupes de distribution possèdent des hubs de taille européenne depuis lesquels sont expédiées les commandes nationales ou locales dans des infrastructures dédiées. Sur place, la gestion moderne des stocks bénéficie de traitements issus des usines de dernière génération, qui reposent sur des processus interdépendants.
Dans les grands espaces de stockage, la technologie GPS localise les produits tandis que les puces RFID et les codes-barres les identifient. Pour constituer une solution intelligente, les données recueillies en temps réel à partir de dispositifs IoT sont partagées via des services basés dans le cloud entre différents logiciels de gestion, notamment les ERP. « Nous cherchons à améliorer le time to market, pour être plus rapides et faire le moins d’erreurs possible et, évidemment, à moindre coût pour préparer les commandes et les expédier. Nous voulons devancer le marché et accélérer notre adoption d’outils d’automatisation et de robotisation, de façon à trouver des solutions et des leviers pour équilibrer l’amélioration de nos process dans une logique conforme aux attentes de nos clients », indique Cédric Derville, Senior Logistics Director chez TD Synnex France.
« Nos fournisseurs n’encouragent pas à faire du stock en raison de la complexité en termes de flux financiers »
Jean-Baptiste Pommé, directeur général de Miel
La numérisation de la logistique
Chacun à leur rythme et selon leurs ressources, les grossistes s’approprient les progrès réalisés dans le domaine de la logistique et abandonnent d’anciens processus. La numérisation de leurs activités restructure l’organisation du travail, place les employés au centre de la technologie et optimise les services. La livraison personnalisée devient notamment plus simple à mettre en œuvre, à grande ou petite échelle. « Nous avons optimisé notre site marchand et fortement développé nos processus de vente en ligne. Ce qui nous a amenés à augmenter considérablement notre surface de stockage puisqu’on est passé de 800 m² à 20 000 m² d’entrepôts, que nous exploitons avec des outils modernes couplés avec une automatisation des cotations et l’usage renforcé de l’EDI pour la gestion du flux commercial, mais sans renier le volet humain qui a toujours été notre ADN. Conjointement avec nos fournisseurs, nous avons aussi développé certains process de configuration et de livraison à la carte des produits », indique Patrice Benloulou, Business Unit Manager, chez MCA Technology.
Le succès du drop shipping résulte lui aussi des avancées technologiques et favorise l’émergence d’une « logistique en tant que service », d’où le grossiste tire une valeur supplémentaire. « Nous avons mis en place plusieurs services de prestation logistique, pensés pour être en capacité de livrer sur l’ensemble du territoire national les clients finaux, et avec toutes les complexités qui existent », souligne Lyes Fertane, président de DSI.
Pour beaucoup d’observateurs du marché, la pandémie de Covid a accéléré la transformation numérique des distributeurs. Cela concerne leur propres opérations, comme les services qu’ils proposent. « Nous essayons d’être à l’écoute de nos clients, de déterminer leurs attentes et les points d’amélioration de nos processus, d’apporter de la flexibilité et de la fluidité dans les flux. Il y a encore des progrès à faire dans ces approches, mais nous sommes plutôt bons en termes de processus. Nous cherchons l’excellence opérationnelle, tous nos employés ont été formés au lean management. Chaque personne est un peu acteur, et le pas-à-pas aide à améliorer la satisfaction client. Nous mettons en place un taux de services comme il en existe en dehors du secteur de l’IT et visons un taux proche des 98 % », indique Pascal Oualid, directeur des opérations chez TD Synnex.
Si les distributeurs ne voient que des avantages dans l’évolution de leur métier, ils perçoivent néanmoins les limites d’une organisation traditionnelle en mode two-tier, qui restreint l’usage des nouvelles technologies mais aussi la production de valeur ajoutée. C’est pourquoi une majorité d’entre eux créent leurs propres plates-formes ou marketplaces pour optimiser leurs business models. Approvisionnement et logistique ne deviennent dès lors que des activités à contrôler de bout en bout. « La maîtrise des fondamentaux de notre métier en termes de logistique et d’approvisionnement n’est plus une option mais une question d’excellence opérationnelle.
« À l’heure où le marché se complexifie, nos équipes optimisent leurs compétences sur toute la chaîne de valeur »
Stéphanie Chevance, directrice marketing d’Ingram Micro
Ce positionnement ne suffit pas à faire la différence auprès de nos clients. Nous cultivons depuis plusieurs années une nouvelle composante de notre métier, qui fait de nous non plus un distributeur de produits informatiques mais un distributeur de solutions qui intègrent le matériel, le logiciel et la partie serviciel. À l’heure où le marché se complexifie, nos équipes optimisent leurs compétences sur toute la chaîne de valeur. Parallèlement, nous voulons révolutionner l’expérience client en développant un écosystème à travers notre plate-forme Xvantage, pour renforcer le partenariat entre nos clients, nos collaborateurs et nos fournisseurs, à la fois en facilitant l’accès à notre portefeuille de solutions complètes, intégrant le service, aux contenus sur les dernières tendances du marché et à des tableaux de bord facilitant la gestion. L’objectif est de faire en sorte que nos équipes puissent se libérer de processus désormais automatisés pour mieux accompagner quotidiennement les clients », explique Stéphanie Chevance, directrice marketing d’Ingram Micro.
Un rôle d’agrégateur de solutions
Dans un paysage IT toujours plus complexe, les distributeurs conservent le rôle de passerelle entre les vendors et les revendeurs. Si les spécialistes du matériel ont leurs contraintes, en particulier l’approvisionnement, le stockage et la livraison, ceux qui ne distribuent que des logiciels se plient également à certaines obligations. En plus d’une forme de logistique propre à la gestion des licences et qui trouve dans la marketplace un outil idéal, la distribution de software n’est pas long un fleuve tranquille. « Nous allons chercher à travers le monde, à nos frais, les produits qui constituent notre catalogue et supportons les règles extrêmement strictes concernant le transfert des biens de cybersécurité, y compris les licences, qui sont soumis à des contrôles parce que ce sont des biens qui possèdent des moteurs à encryptions. Ils sont dits biens à double usage, civil et militaire. Importer mais aussi faire ressortir ces produits de France, voire de l’Union européenne, requièrent une compétence à part entière. Nous assurons le support en français de ces produits et la relation contractuelle dès lors que nous facturons les produits à nos partenaires », illustre Frédéric Dufour, directeur général d’Exclusive Networks France.
« Nos prestations logistiques permettent de livrer les clients finaux sur tout le territoire »
Lyes Fertane, président de DSI
La construction d’une offre logicielle est aussi aux yeux des distributeurs un moyen de fournir à leurs revendeurs des arguments économiques. « Les solutions logicielles de sécurité de notre catalogue ont vocation à optimiser les coûts de fonctionnement des entreprises dès lors qu’on considère qu’une protection contre les attaques permet par anticipation d’économiser les coûts qu’aurait produits une malveillance. On peut tenir le même raisonnement pour le backup », estime Stéphane Castagné, Sales Director, Prianto France.
Beaucoup de grossistes revendiquent le titre d’agrégateurs de solutions en raison de leur expertise dans plusieurs secteurs ou technologies spécifiques. Ils articulent l’usage de différents produits et les enrichissent avec des services d’ingénierie et des prestations commerciales mais aussi avec du support technique, des programmes de sensibilisation, des outils de reporting et du soutien financier. Les scénarios d’agrégation sont multiples et foisonnent aujourd’hui autour du cloud et de l’infra. Ils constituent une bonne part de la valeur ajoutée des distributeurs et soulignent leurs capacités
à générer du profit pour les revendeurs.
« Si nous montrons à notre partenaire qu’en intégrant nos services, notre conseil ou notre approche, il va pouvoir tenir un discours de valeur ajoutée vis-à-vis de ses clients, il vendra plus facilement, plus cher et améliorera sa rentabilité. Si le partenaire revend une offre software accompagnée d’audit, d’installation, d’intégration et de support, et que nous lui proposons de l’enrichir avec des services complémentaires qu’il peut choisir, il sera intéressé par le caractère différenciateur de l’offre par rapport à ses propres concurrents. C’est là où l’agrégation de solutions prend tout son sens. Le partenaire peut également se servir de nos idées, les développer ou les exploiter en marque blanche. Il gagnera alors en crédibilité. Le commerce c’est la crédibilité : être précis dans ce que l’on raconte, respecter le timing donné, et faire une bonne partie du chemin du commerce. S’ajoutent la disponibilité, la réactivité et la créativité d’un distributeur tel qu’Arrow pour accompagner ses partenaires dans tous les projets où ils rencontrent une concurrence », explique Michel Théon, directeur général d’Arrow ECS France.
« Nous cherchons l’excellence opérationnelle, tous nos employés ont été formés au lean management »
Pascal Oualid, directeur des opérations chez TD Synnex
Une chaîne de valeur plus vertueuse
Le volet RSE s’est invité dans le cycle de vie des produits proposés. La plupart des grossistes cherchent à augmenter leurs capacités en matière de développement durable et de classement ESG (environnement, social et gouvernance). Si tous sont dépendants d’offres conçues par les fabricants et ont peu de prise sur leurs caractéristiques écologiques, les initiatives se développent.
« Nous avons créé une boutique green où ne sont retenus que des produits qui ont répondu à un cahier des charges exigeant en termes de respect environnemental. Autre axe de travail, étendre la durée de vie des produits. Pour cela, nous travaillons à établir des partenariats avec des entreprises de réparation et d’extension de garantie, et transmettons à nos fournisseurs les attentes de nos clients, avec l’ambition d’influer, de pousser le marché dans la direction de la RSE », indique Pascal Oualid.
Ingram Micro engagé dans la RSE
Près de 170 000 clients dans 200 pays, 1,5 milliard de produits expédiés par an et 1 500 fournisseurs, les activités du distributeur ont un impact environnemental qu’il assume mais qu’il cherche à réduire en collaborant avec les parties prenantes. « Notre groupe s’engage dans une démarche responsable et publie tous les ans un rapport RSE complet.
Au niveau de la France, nous avons établi une charte dans laquelle nous nous engageons à être en conformité avec les lois et les réglementations applicables dans les pays dans lesquels nous exerçons nos activités ; à suivre notre performance et à rapporter régulièrement les progrès réalisés vis-à-vis d’objectifs mesurables et adaptés, en utilisant des normes et des protocoles mondialement reconnus ; à réduire l’impact de nos activités sur l’environnement dans les domaines où nous maîtrisons le choix de nos partenaires, et influencer les autres ; à collaborer avec nos partenaires en amont et en aval de la chaîne d’approvisionnement pour leur faire part de notre engagement RSE et de nos attentes en matière de préservation de l’environnement ; à communiquer et à collaborer avec nos parties prenantes sur les enjeux de gestion environnementale pertinents associés à nos opérations et à notre activité », détaille Sandrine Vigor, responsable RSE chez Ingram Micro France.
Le VAD multiplie en outre les labels sociaux, et a été notamment reconnu Best Workplace et Best Workplace for Woman.
Context prend le pouls de la distribution pré- et post-Covid
+ 7 %
Hausse des ventes IT globales en 2023
par rapport à 2019
Conséquences de l’alternance de pics et de creux de vente qui se sont succédé en raison de la pandémie, les instituts d’études font face à un casse-tête pour proposer des résultats qui ont du sens. Le cabinet Context a réalisé un comparatif chiffré des ventes IT issues de la distribution entre 2019 et 2023, qu’on peut considérer comme la première année d’un retour à la normale. Pour que la comparaison soit fondée, seules les périodes de janvier à septembre ont été prises en compte. Premier constat, les ventes globales
ont connu une croissance de 7 % en 2023.
C’est un très bon résultat mais il doit être tempéré car il est en grande partie dû à l’inflation qui, pendant ces quatre années, a connu une augmentation comparable, voire supérieure. Cette croissance cache également une très forte disparité quand on la ventile entre les produits « valeur » et les produits « volume ».
Côté valeur, la hausse est spectaculaire puisqu’elle atteint 25 %. À l’exception de 2020, elle fut constante sur les quatre dernières années. Le volume souffre en revanche. Après le pic aussi spectaculaire qu’artificiel de 2020-2021, le retour à la réalité se fait fortement sentir, et 2023 montre une baisse de 5 % par rapport à 2019. On constate aussi une disparité selon les canaux : le B2B, porté justement par la hausse des produits « valeur », affiche une croissance de 17 % alors que le B2C est en chute de 19 % sur quatre ans, avec la problématique pour qualifier précisément dans quelle catégorie placer certains produits à l’heure du télétravail.
Transport et logistique responsables chez TD Synnex
TD Synnex France a obtenu cet automne le label premium « Transport et logistique responsables », décerné par la Fédération nationale du transport routier (FNTR). Il s’agit du premier référentiel ESG dédié au secteur. Sur les 58 entreprises distinguées, le VAD a été la seule entreprise de plus de 250 employés à être labellisée premium, avec un score de 75/100.
« Cette labellisation est la juste récompense des efforts fournis dans notre démarche RSE depuis trois ans. Étant le seul label dans notre secteur d’activité, il est important que nous soyons reconnus par les experts de la profession », souligne Joël Medeiros, responsable QHSE chez TD Synnex France (2e à gauche sur la photo). La FNTR a évalué les entreprises sur les trois thématiques ESG : environnement (réduction des émissions de gaz à effet de serre, consommation d’énergie et d’eau, gestion des déchets), social (conditions de travail, santé et sécurité des salariés, relations sociales) et gouvernance (transparence et responsabilité sociale, éthique des affaires).