Une douce énergie – Samira Bekhtaoui, Directrice Distribution et Enterprise, Asus France
Secrète, sensible, dynamique et résolue, Samira Bekhtaoui est une dirigeante qui sort du lot. Sa double ambition, qui consiste à réussir dans un même élan vie professionnelle et vie privée, trouve matière à s’incarner et à s’accomplir.
Juin 2024Pierre-Antoine Merlin, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) - Photos Jim Wallace
Une porte s’ouvre, et voilà Samira Bekhtaoui qui entre dans la pièce. En quelques secondes, des ondes positives sont projetées : simplicité, sourire, spontanéité. Un choc d’élan vital. Des sensations instantanées, mêlées, qui ne se départiront pas pendant l’heure et demie d’entretien. Tour à tour douce, tonique, déterminée, nostalgique mais toujours tournée vers l’avant, on sent chez elle une force intérieure, jamais loin des larmes. Comme une boule de volonté, l’envie « de s’en sortir », comme on disait naguère. Et, au fond, que sa famille soit fière d’elle. La famille dont elle est issue, bien sûr, comme celle qu’elle contribue à construire, jour après jour.
« Je ne manage pas, j’accomplis.
Je marche au feeling, j’apprécie la sincérité
et l’authenticité des personnes. »
Du vrai ascenseur à l’ascenseur social
« Je suis née dans un ascenseur. » C’est la première fois dans l’histoire déjà chargée de cette rubrique que cette assertion est prononcée. Au point de la faire répéter… De sa naissance, dans des circonstances si particulières, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), en proche banlieue parisienne, garde-t-elle une empreinte ? Peut-être que la vie est un combat. « Je grandis à Belleville, dans le Paris populaire, au sein d’une famille nombreuse. Mes parents sont arrivés en France dans les années 1970. Ma mère était à la maison. Mon père, qui avait commencé par travailler dans les usines Citroën à Levallois-Perret, ouvre ensuite un café-restaurant. » Voilà pour la trame familiale. Déjà se dessine le placenta social et culturel qui entoure la jeune Samira : une famille qui travaille, progresse, serre les dents, fait preuve de résilience et d’audace. « Je me souviens de mon professeur de mathématiques, M. Luciani, qui a été très important pour moi. » Là aussi, une première : personne ici n’a jamais cité un professeur du secondaire. Une volonté qui rappelle le fameux M. Germain d’Albert Camus. Le Prix Nobel de littérature, lui aussi marqué par l’Algérie, a souvent cité avec tendresse et admiration son vieux maître. Samira Bekhtaoui continue à dérouler son parcours, avec précision et sans rien éluder. « Je suis plutôt littéraire, portée sur l’histoire, mais aussi sur la biologie. J’obtiens mon bac en section ES, économie et sciences sociales. Je travaille dans de multiples endroits durant mes études, mais pour autant je ne sais pas trop quoi faire. Deux certitudes, quand même, se font jour et vont se préciser au fil des mois et des années : j’aime les gens et j’aime le droit. »
« Je dois, et nous devons, réfléchir à ce que nous proposons. Il faut créer de la valeur susceptible d’être diffusée à toute la chaîne. »
Une sensibilité au service de la détermination
Ce goût très vif pour les questions économiques, sociales et juridiques trouve rapidement
un premier accomplissement à la faculté, puisque Samira Bekhtaoui obtient un diplôme en ressources humaines à l’université Paris Panthéon-Sorbonne. C’est une nouvelle étape, franchie avec succès. Une marche après l’autre. Un parcours méritant. Mais cela ne suffit pas. Samira a de l’ambition, au sens propre du terme. Elle n’a ni réseau, ni position statutaire, ni piston. « Je me dis que je veux m’en sortir dans la vie. Que je veux réussir. Et gagner de l’argent. »
La future dirigeante n’y va pas par quatre chemins. Encore une fois, c’est inhabituel, surtout en France, a fortiori de façon publique. Elle est franche et sincère, quels que soient le sujet et l’interlocuteur. D’où la décision de faire l’école de commerce ESG, dont elle ressort diplômée « avec mention », souligne-t-elle avec une fierté légitime. Toujours cette envie, ce besoin, de ne rien devoir à personne, sauf à sa famille. De s’approprier et d’assumer tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait. En bien comme en mal. Elle assume, pour reprendre un vocable à la mode. Cette trajectoire de vie et ce caractère résolu vont s’incarner à merveille dans la vie professionnelle. En premier lieu avec un stage effectué chez Renault, où elle se familiarise avec l’industrie manufacturière. Elle est alors « assistante chef de marque peinture carrosserie ». Cela ne s’invente pas ! Cela se vit, surtout. « L’entreprise, c’est un nouveau monde qui s’ouvre à moi. » Cette fois, c’est sûr, elle est lancée. À plein régime. Aujourd’hui encore, son moteur tourne à plein. C’est le travail, encore le travail, toujours le travail. Particularité étonnante : jusqu’à maintenant, son parcours consiste en deux allers-retours pleins et entiers. Chez Microsoft d’abord, Asus ensuite, puis à nouveau Microsoft et maintenant à nouveau Asus. Les deux groupes tech de sa vie, en quelque sorte. Samira Bekhtaoui garde un souvenir amusé et précis (comme toujours) de son premier passage chez Microsoft. « J’étais animatrice de plateau grossistes. Autrement dit, ma fonction était de les aider à trouver le bon discours marketing et commercial. Ensuite, j’ai vendu des galettes aux revendeurs. Et ainsi de suite. » Elle souligne incidemment que son double passage chez Microsoft et Asus n’a jamais été programmé. « Une succession de hasards, tout au plus. Rien de calculé. »
« On disait que le PC était mort ! On ne le dit plus. Il revient, notamment avec l’intelligence artificielle. »
Un management adapté au channel
Plus le temps passe, plus elle se consacre au pilotage des partenaires entendus au sens le plus large du terme. Désormais installée au poste crucial de directrice Distribution et Enterprise chez Asus France, Samira Bekhtaoui a maintenant une vue panoramique du channel. Un métier qui la passionne. « Ce n’est pas du tout la même chose de s’occuper d’une entreprise de façon générale, ou d’être spécifiquement en contact avec les acteurs de la vente indirecte. Moi, j’ai du respect pour les gens qui prennent des risques. C’est le cas, en l’occurrence.
Car sur la partie channel, on ne vend pas d’une entreprise à une entreprise. Je dois, et nous devons, réfléchir à ce que nous proposons et offrons. Il faut créer de la valeur susceptible d’être diffusée à travers toute la chaîne. Et garder à l’esprit qu’on parle à des milliers de clients ! » Cette description des rapports avec les intermédiaires à valeur ajoutée est gratifiante, notamment pour une personne qui met l’humain au centre. Sa praxis, pour prendre un concept philosophique, tient de la pratique et des relations humaines. « On met entre leurs mains des marchés avec une histoire. C’est donc une approche à la fois massive et particulière, individuelle, qu’il faut mener à bien. »
Aujourd’hui, chacun en convient, le marché du numérique, et spécialement de l’IT, se tend. Non seulement l’approche prônée par Samira Bekhtaoui ne se démode pas, au contraire elle s’accentue. Asus veut à tout prix conserver la place de numéro quatre de sa spécialité, à savoir l’informatique mobile.
« Il existe une forme de ruissellement. Cette méthode de travail en amont, qui consiste à insister sur la nécessité de créer de la valeur à chaque étape et à tous les niveaux est essentielle. » Sans doute. Mais il n’y a pas que la démarche systémique dans la responsabilité d’un leader ou du responsable. Car celui-ci doit aussi, et peut-être surtout, identifier, définir et mettre en œuvre une conception du management qui soit juste et efficace.
« Mon idée, et ma pratique, du management d’équipe est fondée sur la délégation, pas sur le contrôle. Encore une fois, j’aime les gens. Je les comprends, je connais leur propre façon de fonctionner, à tous et à chacun. Simultanément, je suis exigeante et rigoureuse. Il faut donc les deux à la fois. Pour parvenir à ce résultat, le développement personnel m’aide beaucoup. Je m’intéresse aux travaux de Julia de Funès, qui intervient de façon régulière sur la philosophie et les ressources humaines. Mais attention, nous sommes dans le business. Il y a toujours des objectifs à atteindre. »
Dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle, Samira Bekhtaoui a une idée forte : quel que soit ce que l’on fait, il faut le faire bien. Ce qu’elle résume d’une façon lapidaire mais tellement vraie : « Je ne manage pas, j’accomplis. Je marche au feeling, j’apprécie la sincérité, l’authenticité des personnes. En ce moment, on recrute beaucoup. À moi de réfléchir et de sentir si ça fonctionne avec l’équipe.
Y a-t-il assez de stimulation, de complémentarité, de challenge, de confiance ? C’est un ensemble
de paramètres à vérifier en permanence et qui doivent fonctionner en symbiose. »
Et maintenant ?
Est-ce l’effet de sa jeunesse ou celui d’une provisoire incapacité à se projeter ? Difficile à dire. En tout cas, Samira Bekhtaoui est dans l’instant. Il faut dire que son quotidien est riche : outre sa vie personnelle et familiale, elle occupe un poste extraordinairement riche, varié et gratifiant. De par sa position, elle touche au développement, à la revente, au channel, à la technologie, aux usages, à la stratégie, aux clients finaux, aux procédés. Sa fonction est celle d’une vigie suractive et proactive. Sans compter que son produit phare est bien vivant. « On disait que le PC était mort ! On ne le dit plus du tout. Il revient, notamment avec l’intelligence artificielle. » Étonnante Samira Bekhtaoui, l’une des personnes les plus attachantes rencontrées au fil de ces lignes. Le ressort de sa forte personnalité réside dans une constante : elle est galvanisée par l’adversité. Chez elle, l’idée débouche tout de suite sur l’action, quitte à agir à contre-courant. Cette attitude résolument offensive fait penser irrésistiblement au général Ferdinand Foch, futur maréchal de France, qui déclarait au moment de la bataille de la Marne : « Mon centre cède, ma droite recule, la situation est excellente, j’attaque ! » Les faits lui ont donné raison. Cent ans plus tard, l’art de la guerre est passé du militaire à l’économie. Mais les fondamentaux, faits de constance, de technique, de management et d’agilité, restent les mêmes.
Repères : Samira Bekhtaoui a 42 ans. Elle est mariée et a trois enfants.
Parcours
2003 Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), Diplômée en ressources humaines.
2005 Renault, Product Manager Assistant.
2006 ESG École de commerce, Master en management, marketing et communication
Entre chez Microsoft pour y occuper diverses fonctions en lien avec le channel.
2010 Asus France, Product Manager, Arrive chez Asus où elle exercera durant huit ans
des postes à responsabilité dans le domaine commercial.
2018 Revient chez Microsoft pour piloter de grands dossiers, dans le domaine de l’industrie
d’abord, puis dans celui de l’éducation.
Depuis 2022 Occupe le poste de directrice de la division B to B chez Asus France.
J’aime
Musique La variété des années 1990-2000, Jean-Jacques Goldman et Céline Dion. Mais aussi le rap,
la musique classique et orientale.
Livres Les ouvrages de développement personnel, l’écrivain algérien Yasmina Khadra, Albert Camus.
Cinéma Les films historiques et de science-fiction. Dans un genre différent, Le Pianiste et
Va, vis et deviens. Deux films à couper le souffle.
Lieux Belleville, le quartier où j’ai grandi. À l’époque, c’était un quartier très populaire.
Gastronomie Je cuisine. Ma mayonnaise et ma vinaigrette maison, par exemple,
mais aussi l’osso-bucco, le tajine…
Passions Je suis très famille, très amis. Je cherche à garder le contact.
Sport et loisirs Me balader, faire le marché. J’aime les gens.