Chritophe Negrier - Oracle

L’homme pressé assagi – Christophe Negrier, Country Manager, Oracle France

Alors qu’Oracle connaît un renouveau, Christophe Negrier apporte à la tête de la filiale française son enthousiasme et sa maturité. Le culte de la performance demeure, mais le goût des autres fluidifie les contraintes. Portrait d’un manager à l’élan vital généreux.

Sep 2023
Par Pierre-Antoine Merlin

« Je reconnais son pas ! », lance un de ses proches collaborateurs, au moment où Christophe Negrier s’apprête à faire son entrée dans la pièce. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le directeur général d’Oracle France est reconnaissable entre mille grâce à son pas, caractérisé par une manière résolue de marcher, comme tendue vers l’objectif. Peu de managers signent aussi nettement, à partir d’un simple détail prosaïque, leur disposition naturelle pour le leadership.

Autre observation qui complète le tableau. Christophe Negrier conserve dans son regard, dans son sourire, et à vrai dire dans toute sa personne, un esprit d’enfance. « J’ai grandi à Champs-sur-Marne dans une famille aimante et unie de la classe moyenne. Avec un arrière-grand-père qui avait fui la guerre d’Espagne, et un grand-père qui, à force de travail et d’efforts, s’était élevé jusqu’à devenir un grand banquier. Un modèle, pour moi. »

Christophe Negrier insiste à plusieurs reprises sur l’héritage familial, toutes générations confondues. « Ma famille m’a appris à réfléchir par moi-même. J’avais des facilités, il est vrai, mais j’étais assez feignant. Et il m’est arrivé d’avoir de mauvaises fréquentations. Ce sont mes parents qui m’ont aidé à m’aiguiller. »

Chritophe Negrier - Oracle

« J’ai du leadership. J’aime les gens. J’ai une conception participative du management. On est plus fort collectivement »

La sincérité de cet homme est désarmante. Une vertu rare. Une chose est sûre, ce manager-né garde de ses années de formation quelques sensations fortes : l’amour dont il a été entouré, la confiance qui lui a été donnée, et également une qualité sans laquelle rien n’eût été possible, l’empathie communicative. Combinée à une enfance heureuse, une telle façon d’être augure favorablement de tous les possibles.

« Encore étudiant, je travaille pour pouvoir rembourser mes parents. Puis, j’entre chez le grossiste à valeur ajoutée Allasso. Un jour, on me demande de prendre la responsabilité d’une équipe. Ne voulant pas me couper de mes amis, car la position hiérarchique change le regard de tous, je refuse. C’est alors que mon patron me conseille d’accepter. »

Une vie au galop

Pour Christophe Negrier, qui revit la scène en la décrivant, cet épisode est sans doute fondateur. Car son manager de l’époque lui fait valoir cinq raisons de ne pas reculer devant l’obstacle. L’actuel patron d’Oracle France s’en souvient encore. « Il me dit : “Tu n’es pas en campagne électorale. Tu n’es pas là pour être aimé. L’entreprise n’a aucune mémoire. Donne tout sans rien attendre en retour. Et sois juste autant que tu le peux.” »

Surmontant ses réticences et convaincu par les arguments de son manager, Christophe Negrier accepte le poste. C’est le début d’une longue ascension, qui le mènera à exercer des responsabilités variées dans à peu près tous les domaines de l’activité informatique, réseaux et télécoms. Avec, pour unique viatique, quelques idées simples. « J’ai du leadership. J’aime les gens. Et surtout, j’ai une conception très participative du management. En effet, je considère que, quelles que soient les qualités individuelles, on est plus fort collectivement. Je donne beaucoup, car j’ai de l’énergie et j’applique mes principes. J’essaie d’être exemplaire et conforme à mes exigences. Je ne cherche pas à dominer par le travail. J’essaie simplement d’être juste et équitable. »

Chritophe Negrier - Oracle

À celui qui s’étonne qu’avec un tel tempérament il ne soit pas devenu entrepreneur, Christophe Negrier confie qu’il se sent à l’aise dans son rôle de pilote placé à l’intérieur d’une grande entreprise. « J’ai toujours été salarié, mais j’ai un esprit entrepreneur. Je me définis volontiers comme intrapreneur. » En somme, il revendique le meilleur des deux mondes : une grande structure qui permet de faire des choses et un espace de liberté interne pour agir.

Un récent aller-retour impliquant Oracle atteste cette volonté d’être toujours à la manœuvre – mais pas à n’importe quel prix. Il y a quelques années, déçu et frustré de ne pas voir ses propres conceptions et propositions retenues, Christophe Negrier est allé chez SAP, gros éditeur de progiciels, rejoignant ainsi Gérald Karsenti – un manager doté lui aussi d’une forte personnalité. « Puis mon ancienne boîte m’a rappelé. J’ai eu un crush avec Oracle. L’entreprise a changé : j’ai senti une vraie ouverture, de la pluralité, de l’innovation, de l’audace. » Autrement dit, les fondamentaux de technicité et de sérieux étaient toujours là. Mais on était passé du gris de la routine à la couleur de la nouveauté.

Christophe Negrier est donc revenu. Avec, comme toujours, des idées plein la tête et de l’énergie à revendre. Le voici désormais à la mi-temps de sa vie professionnelle. Son crush avec Oracle semble durable. Il est d’ailleurs significatif de voir cette expression sentimentale se lover dans la stratégie professionnelle d’un manager. Cette attirance réciproque durera-t-elle jusqu’au bout ? La détermination du patron d’Oracle et sa capacité à assumer les décisions sont connues. Tout dépendra des circonstances. Comme disait le général de Gaulle à un tout autre propos : « L’intendance suivra. »

Chritophe Negrier - Oracle

« J’ai toujours été salarié, mais j’ai un esprit entrepreneur. Je me définis volontiers comme intrapreneur »

Pour le moment, elle suit. Car Oracle est l’un des acteurs du numérique les plus en vue du moment. Depuis 1977, ce spécialiste des bases de données, de l’ERP et désormais du cloud, a marqué de son empreinte l’univers de la tech, pour employer un vocable à la mode. Moins exposé que les Gafam, mais tout aussi actif, Oracle prend, depuis près d’un demi-siècle, tous les virages essentiels. De quoi stimuler les meilleurs managers.

Et maintenant ?

On est en présence d’un homme d’action. D’un côté, la rumination du passé n’est pas son fort. L’évocation de l’enfance est employée uniquement comme sujet de gratitude. Mais d’un autre côté, le défrichage de l’avenir et l’élaboration d’une stratégie de long terme lui sont assez étrangers. Ce dirigeant est d’abord un pragmatique. « Je n’ai jamais de plan de carrière. Je ne suis pas véritablement un cérébral, je fais plutôt confiance à mon intuition. Je fonctionne à l’instinct. » Il fait des phrases courtes, d’une voix bien timbrée. Il est ce qu’il fait, ce qu’il dit, et la manière dont il le dit.

Ainsi, Christophe Negrier se réjouit d’une évolution concrète de ses attributions : outre le poste de Country Manager pour la France, il est vice-président pour l’Europe du Sud.

Là où certains se plaindraient de crouler sous le fardeau des responsabilités, lui voit une opportunité. Réflexe typique d’un businessman. « J’aime aller à la rencontre des différents marchés, mesurer les écarts culturels qui existent dans les régions. Il faut apprécier et respecter les contextes, c’est très important. Mais il faut également chercher à adapter et à harmoniser les pratiques. Ce double enjeu, qui consiste à respecter les cultures, tout en recherchant sans cesse l’harmonisation, est quelque chose de passionnant. »

Cette envie de faire, de contribuer au changement, est presque une philosophie de vie. « Je recherche les environnements de transformation. Plus encore, j’aime être dans la transformation. »

Pour Christophe Negrier, il ne s’agit donc pas de changer pour surmonter une période de crise, puis de revenir à la normale. Au contraire ! La transformation et le mouvement sont des processus permanents. Contrairement à une idée reçue, le mouvement ne crée pas le déséquilibre, mais bien l’équilibre.

De fait, il a une vision globale, sociétale, du progrès humain. Il s’agit « de donner toutes ses chances à la technologie pour qu’elle joue le rôle vertueux qui lui incombe : un rôle d’invention de nouveaux biens communs, de créateur de solidarités, d’accélérateur de la transition écologique et de moteur de notre économie ».

On sent que, sous sa plume, ce n’est pas une simple déclaration d’intention pour complaire à l’air du temps. C’est l’expression d’une conviction profonde. L’informatique est devenue numérique, le numérique est en train d’avaler l’économie, et elle-même englobe les questions sociales, écologiques et sociétales. L’époque est donc à l’urgence et à la globalisation.

Enfin, à plusieurs reprises au cours de cet entretien, Christophe Negrier évoque curieusement la figure mythique de Poulidor. « Il avait, et je crois l’avoir aussi, ce côté français et romantique. Avec son image de champion endurant, sympathique et éternellement second, Poulidor est l’archétype du loser magnifique. » On pourrait ajouter à cette assertion que le patron d’Oracle France tient également d’Anquetil : il a la rage de progresser, d’être toujours à l’affût, de se lancer des défis. Le businessman en lui admire Anquetil. Mais le petit garçon de Champs-sur-Marne aime Poulidor.

« Je n’ai jamais de plan de carrière. Je fais plutôt confiance à mon intuition. Je fonctionne à l’instinct »

Repères

Christophe Negrier a 46 ans. Il est marié et père de trois enfants.

Parcours (sélection)

1995 Baccalauréat section S (option mathématiques)
2001 Diplôme de l’école d’ingénieurs Epita
2003 Allasso France Responsable du marketing produit, puis directeur des services
2011 Symantec France Directeur des ventes channel, puis directeur commercial grands comptes
2017 Oracle France Cloud Platform Sales Director
2018 SAP France VP Sales
Depuis 2020 De retour chez Oracle France, il cumule, depuis décembre 2021, les fonctions de Country Manager et de Senior Vice President EMEA South.

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J’aime

Musique Le rap français de mon époque, comme MC Solaar. Et la musique classique, les Gymnopédies d’Erik Satie.
Littérature Surtout la fiction. J’ai lu cinq ou six fois Le Seigneur des Anneaux.
Cinéma Je pleure beaucoup au cinéma. J’aime Clint Eastwood, en particulier Million Dollar Baby et Gran Torino.
Lieu Les Grenettes, à l’île de Ré. J’y ai passé toutes mes vacances, de trois mois à vingt-cinq ans.
Gastronomie Les plats simples, le barbecue, le partage, la famille, le sourire et les amis.
Passions Ma famille, les gens, la lecture et la moto.
Sport et loisirs La course à pied pour des causes telles que La course du cœur, de Paris à l’Alpe d’Huez. Une équipe Oracle y participe régulièrement.