L’élan vital nimbé d’empathie – Mélanie Biberian, Présidente de Beemo Technologie

La présidente de Beemo Technologie, spécialiste de la sauvegarde, donne tout. Mais elle attend beaucoup. Rencontre avec une femme qui résout ses contradictions dans l’action, avec un entrain qui fait plaisir à voir.

Juil 2024
Par Pierre-Antoine Merlin. Photos Jim Wallace.

On croyait avoir tout vu. Au point de se poser la question : après tant de portraits réalisés, la routine ne va-t-elle pas finir par s’installer ? À chaque fois pourtant, c’est la divine surprise. Dès son entrée dans la pièce, Mélanie Biberian occupe tout l’espace. Ce n’est pas de son fait, elle est un tourbillon par nature. Inquiète, curieuse de ce qui va se passer, elle craint d’abord et avant tout la séance photo. Son charme mobile risque d’être figé par la pose.
Au moment où elle s’assoit, les premières questions fusent. Une chose frappe d’emblée, qui continuera sans relâche pendant l’heure et demie d’entretien : son visage est d’une expressivité intense. Elle est toujours à ce qu’elle fait, à chaque seconde qui passe. Chez elle, pas de retenue, pas d’hypocrisie et un code social réduit au minimum. On est tenté de dire : pas de surmoi. Elle dit, elle est, elle fait. Existentialiste sans le savoir.

De Marseille à la Californie, et retour(s)

« Je suis née à Marseille, dans les Bouches- du-Rhône, d’une mère parisienne et d’un père d’origine arménienne. Il était professeur de physique à l’université de Marseille, et ma mère était femme au foyer. J’ai un frère et une sœur. » On n’en saura pas plus, la partie CV est terminée. Alors qu’elle n’a que quatre ans, toute la famille part s’installer aux États-Unis. « On vit à Berkeley, en Californie. C’est un souvenir magnifique. Magnifique ! C’est l’époque peace and love, on est dans les années 1970. Je me rends compte qu’il existe deux mondes parallèles, celui des hippies d’un côté, celui du capitalisme et du gain de l’autre. Au fond, les hippies avaient raison. Par exemple, on revient aux produits bio. Mais tout cela est mal vu, mal connoté en France. On pense toujours aux fumeurs de shit. En fait, le monde hippie, c’était tout autre chose, une société heureuse ! » Il n’est pas donné à tout le monde de grandir entre la Californie et Marseille, et de balancer entre le « baba coolisme » et le pilotage d’entreprise numérique. La jeune Mélanie va se confronter à – et s’enrichir grâce à – ce destin en gestation.

La jeune Mélanie va se confronter à – et s’enrichir grâce à – ce destin en gestation.

L’équilibre dans le mouvement

Alors qu’elle a seize ans, que toute la famille est rentrée en France, elle éprouve la volonté, l’envie, le besoin, de repartir. Cette fois dans le Wisconsin, pour un séjour de longue durée. Elle ne passe donc pas le bac, mais son expérience va s’avérer extraordinairement formatrice. « Je suis dans une fac américaine, et là, contrairement à Berkeley, c’est l’Amérique profonde. Le foot, les pom-pom girls, le sport, la high school, les fêtes… C’est comme dans les films ! » En relatant cette tranche de vie, elle y est, sa jeunesse encore dans les mirettes. De toute façon, son tempérament et sa façon d’être montrent qu’elle est encore jeune de cœur et d’esprit.

Revenons à la fin des années 1980. Tout le monde se réinstalle en Californie. Le père de Mélanie prend deux années sabbatiques. C’est reparti, le tourbillon perpétuel continue, et il faudrait des pages et des pages pour tout raconter ; un numéro entier de votre magazine professionnel préféré n’y suffirait pas. Mélanie part à Hawaï, qui lui plaît beaucoup. « Une partie de ma famille était jalouse ! Là-bas, j’étudie le business et le marketing international. C’était intéressant, et je serais bien restée à Hawaï.
Mais voilà, je ne parle pas japonais, et la langue ne m’attire pas tellement. Or, elle est nécessaire pour vivre et travailler là-bas. »

Finalement ce sera la Silicon Valley, et Cisco, déjà plus une start-up mais pas encore un monstre de l’IT. Mélanie Biberian remarque que les jeunes pousses éclosent, que la nouvelle économie bat son plein. Le phénomène est loin d’être identifié et reconnu en France. À l’époque, au mitan des années 1990, « il est pourtant très important de bosser dans la Valley. C’est la grande époque Cisco. On dit qu’un an dans cette entreprise correspond à plusieurs années de vie ! Tout est fait pour qu’on ne quitte pas le bureau.
Vous avez tout à disposition, même le nettoyage du linge. C’est une belle expérience ».
Puis c’est Amsterdam, les voyages en Inde et à Tahiti, l’arrivée chez WebEx, toujours à Amsterdam. Ensuite, elle accompagne son compagnon à Singapour et devient « femme d’expat’ », selon sa propre expression, à Shanghai. « Cela a été plus difficile que prévu. À nouveau, l’obstacle de la langue… et, surtout, mon frère m’appelle. C’est le début de l’aventure Beemo. »

« Pour être motivé, il faut un objectif et se remettre en question en permanence. Il faut douter de ce que l’on fait. »

Canaliser ses dons

Au moment où se referme la première phase de sa vie, il n’est pas inutile de faire un arrêt sur image. De fixer le portrait de cette femme en mouvement perpétuel, au point de donner le tournis, et peut-être d’abord à elle-même.
Elle a vécu à cent à l’heure, fait des allers-retours incessants entre les États-Unis et la France,
est devenue bilingue mais souffre de ne pas parler toutes les langues locales. Avec en prime, de l’énergie à revendre. Elle ne s’embarrasse pas de périphrases. Elle fonce. Last but not least : partout où elle est passée, Mélanie Biberian s’étonne que les choses n’aillent pas plus vite, que les gens ne détectent pas les possibilités qui s’offrent à eux. La création d’une entreprise, avec la responsabilité qui l’accompagne, va agir comme une lance de départ dans sa vie d’adulte. Son énergie et son envie d’être utile, de transmettre, vont s’en trouver canalisées. « Mon frère et moi, on commence. On vit chez notre mère avec une Renault 5 pourrie. On fait avec les moyens du bord, c’est-à-dire rien. Rapidement, on comprend qu’il faut monter un réseau de distribution.
Cela tombe bien, on a une offre qui répond aux besoins de la PME. Mais la PME, elle, ne le sait pas. La demande est là, pourtant, elle est sous-jacente et doit juste être réveillée. L’analyse est donc bonne. Il faut absolument monter ce réseau, sans mise de fonds conséquente. »

Là encore, impossible de décrire dans le détail le développement de Beemo. Ce serait une histoire d’entreprise alors que le but de cette rubrique est de faire le portrait d’une personne remarquable. Sa volonté trempée dans l’acier fait ses preuves. « Je structure le réseau de distribution. Pour ce faire, on travaille sur la proposition de valeur. C’est une découverte pour moi. Je découvre le marché, le channel.
Le channel, ce n’est pas de la vente. C’est du relationnel, des gens. Le programme Partenaires est très important. Il en faut ! Il faut que tout soit carré. Chacun doit savoir où il va. Cela évite les problèmes. Quand les choses vont mieux en les disant, elles vont encore mieux en les écrivant. »

« Il faut rendre le travail motivant et respectueux. Mais il faut être attentif car notre système crée l’abus. »

Les femmes dans l’IT

De son expérience aux États-Unis, elle tire beaucoup de leçons, dont certaines vont lui être profitables dans l’appréhension de son propre management. « Les Américains font confiance tout de suite. Mais attention, si les résultats ne sont pas au rendez-vous, cela casse net, et c’est terminé. Les Français, eux, mettent plus longtemps à accorder leur confiance. Il faut également tenir compte du fait que la société ne parle pas d’argent. Cela complique les choses. D’où ce que j’appelle le floux, un mélange de flou et d’approximatif. »

Autre cheval de bataille de Mélanie Biberian, la cause des femmes. Selon elle, il a longtemps existé, dans la société et dans l’économie française, une discrimination envers elles. Les choses commencent à bouger mais lentement. « C’est très difficile d’être crédible quand on est une femme. Contrairement à une idée couramment répandue, elles sont nombreuses dans l’IT au Maroc. Dans un salon auquel j’ai participé récemment, j’ai noté 40 % à 45 % de femmes ! C’était à Marrakech. Certaines étaient voilées, d’autres pas. En tout cas, cette forte participation des femmes à nos métiers m’a frappée. »

Le leadership par l’exemple

Reste à appréhender le style de management de la présidente de Beemo. « J’ai la chance d’être entourée de gens qui sont pragmatiques, qui ont de l’intelligence, du bon sens et de la logique.
Il faut faire en sorte que le travail soit agréable, motivant et respectueux. Mais il faut aussi être attentif car, en France, notre système crée l’abus. Moi je suis comme ça, je fais confiance tout de suite. Il n’y aura pas de micromanagement.
Tout est expliqué tout de suite. C’est objectif, contrôle, sanction. Il faut que les choses soient claires et transparentes. C’est mieux pour tout le monde. Je crois au leadership par l’exemple. »
Effectivement, c’est plutôt un management à l’américaine. On sent que Mélanie Biberian a beaucoup appris de ses expériences outre-Atlantique et dans le reste du monde. On ne peut pas lui reprocher sa franchise. Au contraire, c’est si rare. Clarté dans les rapports avec le channel, clarté avec l’équipe en interne, c’est une bonne méthode pour gagner du temps, de l’énergie et de l’efficacité. Ces mots reviennent souvent dans son vocabulaire, et elle les scande : précision, assiduité, exemplarité, responsabilité. On se demande parfois si elle ne s’est pas trompée de pays. « L’honnêteté paie ! »

Enfin, celle qui se définit comme une Easyjet-setteuse se confie, un peu, sur sa vie personnelle. Elle parle de ses goûts, de ce qu’elle fait, de ce qu’elle aime faire. « Je termine d’aménager une maison au bord de la mer. J’aimerais aussi faire du coaching. Je lis volontiers des livres sur ces questions, c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup et où je pourrais être utile. Avec quelques idées simples. Par exemple, pour être motivé, il faut un objectif et se remettre en question en permanence. Il faut douter de ce que l’on fait. » Mélanie Biberian est un mystère en mouvement. Elle aime la mer, être occupée, faire de ses mains, avoir des projets immédiats, changer de direction. Elle est passionnée, multiple, difficile à garder dans un cadre. Sa parole fuse tout comme son rire.
Sa vie est une course contre la montre. Le paradoxe suprême de cette femme insaisissable est qu’elle est attachante.

Mélanie Biberian a 49 ans et un fils de 17 ans.

1975 : Naissance à Marseille (Bouches-du-Rhône)

1993 : Diablo Valley College, établissement public d’enseignement supérieur situé à Pleasant Hill (Californie)

1995 : Hawaï University, International Business and Marketing

1998 : Cisco, Account Manager

2000 : WebEx, Responsable de la préparation de l’Europe du Sud pour le lancement de WebEx en France, en Italie et en Espagne

2004 : Beemo Technologie, Channel Manager

2012 : Channel Director

Depuis 2022… : Présidente

J’AIME

Musique : La techno, la dance. Il faut que le son soit très fort. Et l’opéra : je suis allée récemment entendre La Flûte enchantée à l’Opéra-Bastille.

Livres : Les livres policiers de Michael Connelly et les essais, comme Big Potential de Shawn Achor et The Subtle Art of Not Giving a f*ck, de Mark Manson. Depuis les écrans, je lis moins.

Cinéma : Les films de Woody Allen et d’Albert Dupontel. L’humour décalé.

Lieux : La mer. L’horizon. Marcher sur la plage. On a de la chance d’avoir un beau monde !

Gastronomie : J’apprécie la cuisine asiatique, thaïlandaise en particulier. Côté boissons, j’aime quand ça pétille.

Passions : Découvrir des endroits. Passer des vacances au Club Med ne m’intéresse pas. Il faut aller chez les gens pour connaître un pays.

Sport et loisirs : Taper dans une balle au golf. Le practice, ça détend. Faire du rameur à la salle de sport.