
L’alliance du naturel et de la simplicité
Être fidèle à soi-même s’apparente souvent à un exercice forcé, proche de la démagogie. Rien de tel avec Jean-Baptiste Pain, qui témoigne d’un naturel confondant de sincérité. Rencontre avec un homme vrai.
Déc 2024Par Pierre-Antoine Merlin, à Élancourt (Yvelines). Photos Jim Wallace.
Jean-Baptiste Pain, Directeur général South EMEA de Jabra
Au fond d’une banlieue sans âme, hérissée de badges électroniques pour éloigner les curieux, se niche un havre de paix studieux. Pour le visiteur qui débarque, c’est un bain moussant mental. D’autant plus que les locaux de Jabra, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, sont à l’image du directeur général, Jean-Baptiste Pain, un homme facile d’accès et sans apprêt. La conversation s’engage, et avec elle la confiance réciproque.
« Je suis normand, né à Caen, d’une mère professeur d’anglais et d’un père expert-comptable et commissaire aux comptes. Ensuite, nous déménageons à Évreux. »
La sincérité comme moteur
Jean-Baptiste Pain parle d’une façon tranquille, détendue, descriptive, directe.
« J’ai eu une enfance heureuse, épanouie. Je suis comme je suis. Mes parents me faisaient confiance. Je crois pouvoir dire que j’ai bénéficié d’un bon compromis entre l’autonomie, la confiance et l’affection. » Outre la chance d’avoir eu une jeunesse équilibrée, il insiste sur l’importance de l’amitié, des relations, des copains. Visiblement, le souvenir est intact et toujours positif. En revanche, la scolarité du futur dirigeant de Jabra est moins fluide. Là encore, pas d’effet de manche, la stricte vérité, agrémentée d’un brin d’humour.
« N’ayant pas la capacité d’être fort en sciences, ni dans les matières littéraires, j’ai choisi l’option B, la section économique et sociale. J’ai eu la note la plus basse de l’académie ! » Et de regretter amèrement certains travers du système éducatif à la française.
« La sélection par les maths était, et demeure aujourd’hui encore, très excessive. » Le jeune Jean-Baptiste part aux États-Unis pour y effectuer une année formatrice.
« Je suis parti sans vraiment parler anglais, j’en suis revenu bilingue. À l’époque, c’était déjà important. Aujourd’hui, c’est devenu obligatoire. » Rapidement, sa trajectoire professionnelle s’affine. Il débute dans le milieu, passionnant et déjà en pleine mutation, de la vidéoconférence. Son entrée en 2005 chez Polycom est un élément fondateur. Reste que, pour piloter sur le terrain une équipe, de visu, c’est une autre paire de manches.

Il est très difficile de bâtir une équipe, mais il est très facile de la détruire. »
Un travail sur les « jours ensoleillés »
On se demande souvent quelle est la bonne méthode de management. La délégation comme principe d’action ou le culte du contrôle et de la vérification ? Jean-Baptiste Pain, fidèle à son caractère et à son tempérament, deux traits burinés par l’expérience, voit les choses un peu différemment.
« La relation humaine est fondamentale. Quand une difficulté survient dans le groupe, ou avec une personne en particulier, il faut l’identifier et vite la régler. Il est très difficile de bâtir une équipe, mais il est très facile de la détruire. Encore une fois, la relation humaine est essentielle. Il faut vraiment travailler ensemble. J’insiste, quand vous avez un élément perturbateur, cela va très vite. Il faut trancher dans le vif. »
La Covid, le confinement et la montée en force du télétravail ont-ils changé quelque chose à sa conception du management et du leadership en entreprise ? Pas tout à fait.
« On ne peut pas dire : télétravail avant et retour au bureau maintenant. Les choses sont plus nuancées. Pour ce qui nous concerne, nous travaillons sur les “jours ensoleillés” : cela veut dire que si vous venez au bureau, il y aura des collègues. C’est un concept intéressant. C’est le comité social et économique qui a trouvé ça. Ainsi, les gens reviennent dans les locaux de manière volontaire et sincère. »
De fait, il y a des interactions intéressantes à creuser entre le distanciel et le présentiel. Jean-Baptiste Pain, qui a amorcé sa carrière dans le secteur de la vidéoconférence, a des expériences concrètes à faire valoir sur ce sujet.
« D’abord, la progression des outils de vidéoconférence m’aide dans la pratique du management physique. Ensuite, j’observe que même la génération Z préfère le face-à-face ! »
Tant que l’équipe et les gens au-dessus de moi fonctionnent correctement, il n’y a aucune raison d’aller voir ailleurs. »

Les conséquences de la pandémie, notamment sur le plan de la psyché individuelle et collective, sont fortes et durables. Il est vrai que le patron de Jabra Europe du Sud est aux premières loges pour l’observer : il connaît bien le monde de la présence virtuelle, apprécie à leur juste mesure les différentes approches culturelles et aime travailler la pâte humaine.
La seule qui vaille, à l’arrivée. Le concept de vie hybride, qu’il préfère à celui de travail hybride, est là pour en témoigner. En effet, l’équilibre délicat et mouvant entre bureau, domicile et temps passé en déplacement est toujours à réinventer. Mais il n’y a pas que le télétravail à gérer. Il existe également une conception du management propre à chaque chef d’entreprise.
« Quand je deviens contrôlant, c’est qu’il y a un problème. C’est qu’un certain nombre de bornes ont été dépassées. Quand les choses passent bien, j’y vais à fond. Je respecte le choix de chaque membre du personnel, y compris celui de partir. Je n’ai jamais bloqué personne. »
Il est vrai que cette fluidité se ressent à l’intérieur même de l’entreprise, en tout cas sur le site d’Élancourt (Yvelines). Le jour de notre venue, une séance de travail réunissait dans une salle partiellement ouverte un grand nombre de participants, non prévenus de notre visite. Les discussions étaient, à en juger par l’impression dominante, attentives et courtoises. Surtout, elles étaient constructives. La forme entraîne le fond. Ou plutôt, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Selon Jean-Baptiste Pain, l’ambiance cosy qui prévaut dans les locaux tient à plusieurs facteurs, hétéroclites mais convergents.
« On a toujours été dans le coin. C’est pénible pour arriver, mais agréable quand vous passez la porte. C’est notre ADN ! »
Interrogé sur ce que, profondément, il éprouve à ce sujet, il cite spontanément la créativité et l’innovation. Deux caractéristiques qui s’appliquent aussi bien à Jabra qu’à lui-même.
« Je n’aime pas trop tout ce qui est standard. Je note que ChatGPT indique, à propos de notre entreprise, que l’accent est systématiquement mis sur la spécialisation et les technologies avancées. » Rarement on a eu à ce point, lors de l’exercice rituel du portrait effectué dans ces colonnes, la sensation d’une osmose entre le dirigeant, la culture de l’entreprise et la façon d’être des équipes.

Jabra est une société danoise, et les Danois sont le peuple le plus heureux au monde. »
Ça va être compliqué après
Jean-Baptiste Pain a cinquante ans. Ce n’est plus un jeune homme, sauf dans sa tête. Il est trop tôt cependant pour penser à la retraite. « Je n’y pense même pas ! Un non-sujet pour l’instant. »
En revanche, il regarde volontiers dans le rétro. Et là, une évidence lui saute aux yeux.
« Avant d’être chez Jabra, je n’ai fait que des boîtes américaines. Dans ce système, le schéma est toujours plus ou moins le même. Tu fais ça et puis c’est tout. »
Il ne juge, ni ne regrette. Il décrit, observe, constate. Dans bien des occurrences lors de cette conservation, le portraitisé du mois s’en tient aux faits, les seuls qui vaillent. Comme celui-ci : Jabra lui offre une réalité et des perspectives gratifiantes, stimulantes. Peut-être plus fondées sur l’humain, la qualité de vie au travail, y compris au quotidien.
« Jabra est une société danoise, et cela se sent. Les gens y sont bienveillants. Il faut savoir que les Danois sont le peuple le plus heureux du monde. »
Pourtant, le Danemark a la réputation d’être un petit pays nordique et froid, doté d’une langue difficile à maîtriser. La capacité au bonheur ne se cantonne donc pas au climat, à l’âme des peuples, comme disait André Siegfried.
« Tant que l’équipe et les gens au-dessus de moi fonctionnent correctement, il n’y a aucune raison d’aller voir ailleurs. Mon envie est de continuer encore quelques années. Sachant que, si je pars, ce sera pour aller dans un monde totalement différent. Et pourquoi pas le golf… c’est un milieu qui me plaît beaucoup. Je pourrais, par exemple, être dans l’organisation golfique. »
Néanmoins, un sujet tracasse profondément Jean-Baptiste Pain, bien au-delà des préoccupations professionnelles, et même personnelles. Alors que le temps imparti à cette rencontre arrive à son terme, il souhaite évoquer des questions rarement mentionnées dans ces colonnes. Il s’explique posément : « Je me demande quel monde nous allons laisser à nos enfants. Nos parents ne se posaient pas cette question. En fait, c’est l’enfer. Je ne veux pas être pessimiste, mais quand on voit les exactions qui se déroulent partout, que cela dérape de partout. »
Un silence, puis il reprend : « Si l’on décide d’aller dans une direction, les effets de bord sont énormes. » Il reprend, certes, mais surtout il se reprend : « Je ne me dis pas que c’était mieux avant. Je me dis que cela va être compliqué après. »
En prenant congé, l’exacte vérité subsiste. En tout cas la sienne. Jean-Baptiste Pain dit ce qu’il pense. He speaks his mind, comme disent les Anglo-Saxons dans leur langage simple et imagé. Il aime sa vie au travail, et sa vie tout court. Simultanément, il éprouve une angoisse sourde pour le présent et surtout pour l’avenir de l’humanité souffrante. Cette bête qui le taraude appelle une remarque : on reproche souvent aux hommes d’affaires, aux capitaines d’industrie, aux chefs d’entreprise en général, d’être des court-termistes portés sur le business immédiat. Lui n’entre pas dans cette catégorie. Il voit spontanément les choses telles qu’elles sont. Du général au particulier, de près comme de loin.
Repères : Jean-Baptiste Pain a cinquante ans. Il est marié et père de deux enfants.
Parcours
1992 : Baccalauréat économique et social (série B).
1995 : BTS de commerce international, Notre-Dame-de-Sion (Paris).
1996 : Service national dans l’armée de l’air, Collège interarmées de défense.
1998 : Diplôme de l’école supérieure de commerce et de management, Le Havre.
2005 : Polycom. Directeur commercial Grands comptes.
2009 : GN Netcom. Directeur commercial France et Afrique du Nord.
Depuis 2011 : Directeur général South EMEA de Jabra.
J’aime
Musique : Ce qui est électronique. Sinon, Pink Floyd, Nirvana, le grunge, la culture Seattle.
Livres : La presse écrite musicale, tel feu le magazine papier Magic sur la musique indépendante.
Cinéma : L’Amour ouf, entre tendresse et violence, et « L’Échelle de Jacob ». Je m’intéresse au processus de création.
Lieux : Les Landes et le Pays basque, Hossegor, Biarritz, l’espace et la lumière. Et la Savoie où que je me ressource le plus.
Gastronomie : Le restaurant Les Poulettes Batignolles, les très bons rosés de Provence, tel le château-sainte-marguerite. Et les fondues et raclettes.
Passions : Le snowboard comme pratique de vacances. Les concerts, surtout la scène indépendante. Et j’irai voir The Cure !
Sports et loisirs : Le golf. Beaucoup plus varié qu’on le croit. Je joue avec les copains et les clients. J’ai été à l’origine du Jabra Ladies Open.