Datacenter

Ça chauffe dans les data centers !

L’attractivité des centres de données ne se dément pas. Mais le réchauffement climatique a un impact sur ces installations. Les opérateurs misent sur les nouvelles perspectives que leur offrent les innovations énergétiques.

Jan 2024
Par Thierry Bienfait

Les centres de stockage de données poussent comme des champignons. On en recense déjà près de 250 dans notre pays, selon l’association professionnelle France Datacenter. À lui seul, le champion Telehouse en possède quatre d’environ 12 000 mètres carrés chacun. La numérisation galopante dans les PME et les administrations locales accélère l’implantation de ces infrastructures, en région parisienne comme en province. La tendance est en effet à la multiplication des « Edge data centers », des centres de données de plus petite taille conçus pour traiter les data au plus près des utilisateurs finaux. Une proximité qui offre l’avantage de réduire le temps de transmission des données et de gagner de précieuses millisecondes indispensables au bon fonctionnement d’applications technologiques telles que l’IoT, la ville connectée, la téléchirurgie, la 5G…

DataOuest, Equinix, FullSave, Interxion, Xefi ou XL Datacenter investissent ainsi dans des installations de ce type dans des villes moyennes. À terme, « des centaines d’Edge data centers pourraient quadriller le territoire tous les 50 kilomètres », estime le consortium de spécialistes Uptime Institute. Toujours dans le but de traiter les données au plus vite, au plus près de leur source, l’Edge computing implique un virage vers un data center « micro » en périphérie de réseau, garantissant plus de flexibilité et une plus grande capacité d’adaptation. Car la demande est forte dans le secteur.

« Nous sommes en perpétuel rattrapage sur les data, expliquait l’un de ces hébergeurs au salon Data Centre World Paris. Nous suivons la croissance de nos clients. Par exemple, plus on utilise les smartphones et plus on a besoin de nos équipements. » En outre, il est fortement recommandé de stocker en local plutôt qu’à l’étranger, pour d’évidentes raisons de sécurité. « C’est également une manière de décarboner », ajoute-t-on chez Kohler Power Systems, spécialisé dans la gestion des besoins en énergie électrique.

« Le maintien en fonctionnement optimal des salles de serveurs impacte la rentabilité des data centers »

Amber Villegas Williamson, Senior Consultant chez Uptime Institute
Amber Villegas Williamson - Uptime Institute

Des besoins de plus en plus gourmands en électricité

Le stockage de data écoresponsables constitue l’une des préoccupations majeures des acteurs dans l’industrie des data centers. Le défi est de taille puisque cet écosystème représente 15 % de l’empreinte carbone du numérique. Baisser la facture sera d’autant moins simple que l’émergence de l’intelligence artificielle dans la transformation numérique des entreprises, privées ou publiques, a de lourdes répercussions dans leur consommation d’énergie. Reste qu’il sera difficile de s’en passer… à commencer dans les centres d’hébergement informatique et de cloud computing, qui l’utilisent pour des plates-formes logicielles prédictives destinées à mieux éviter les pannes et les incidents causés par une surcharge ou par un défaut de puissance. Question consommation d’énergie, un cercle vicieux a été créé : l’intelligence artificielle et le machine learning permettent aux data centers de disposer en temps réel de relevés sur les données techniques de leurs infrastructures et bâtiments (coût en énergie, en eau, en CO2…), mais ils accroissent l’alimentation continue des appareils et l’utilisation permanente de la climatisation, qui représente environ 50 % de la facture totale d’électricité.

Caroline Le Bihan - Kohler Power Systems

« Les centres de données régionaux sont touchés de plein fouet par la hausse des prix de l’électricité »

Caroline Le Bihan, Marketing Director chez Kohler Power Systems

La priorité : réduire la facture énergétique

L’amélioration de l’efficience énergétique est donc devenue une priorité des data centers. Dans un contexte d’inflation généralisée, les opérateurs n’ont pas vraiment le choix étant donné l’explosion du prix de l’électricité. Surtout les petits hébergeurs, déjà fragilisés par l’augmentation de leurs primes d’assurance contre les incendies, après l’incendie ravageur chez OVHcloud en 2021. Fin 2022, au plus
fort de la hausse du coût de l’électricité, des opérateurs de centres de données français ont même envisagé de réduire d’un gigawatt la consommation énergétique de la filière, ce que ses acteurs ont appelé « l’effacement ».

La parade devait consister à y remédier par des groupes électrogènes pour prendre le relais des lignes à haute tension. Problème : lesdits groupes électrogènes sont alimentés au fioul ou au biodiesel. D’autres industriels du secteur des data centers ont proposé d’accélérer l’amélioration de l’efficience énergétique
de leurs installations en baissant, si besoin, la climatisation dans les salles informatiques. Et ce, quitte à sortir des conditions optimales au fonctionnement des serveurs en laissant la température monter d’un à trois degrés supplémentaires. Optimiste, Uptime Institute observe que « l’ensemble du secteur rivalise d’innovations pour réduire la consommation électrique des centres de données ». « Le refroidissement liquide va continuer de se développer, signale France Datacenter.

De gros progrès ont été réalisés dans les architectures de serveurs préfabriqués avec des systèmes de refroidissement liquide. En outre, quelques grands data centers mènent des tests sur des dispositifs de refroidissement par tours aéroréfrigérantes, qui récupèrent la vapeur d’eau générée grâce à une technologie recourant à des panneaux. » D’autres professionnels anticipent un modèle avec moins d’humain et davantage d’automatisation. Histoire surtout de retrouver de la marge.

Quand l’eau froide vient à manquer

datacenter refroidi par eau

Recourir au refroidissement par eau pour maintenir en fonctionnement optimal tous leurs serveurs en dépit des périodes de sécheresse, voilà l’équation complexe à laquelle sont confrontés, de plus en plus régulièrement, les gros data centers. Cet été, alors que l’Europe subissait une des plus fortes canicules jamais observées, le besoin en eau est devenu critique lorsque l’assèchement des cours d’eau a atteint un niveau sans précédent.

Une illustration de ce problème a été révélée par des journalistes : une ferme de serveurs Microsoft à Wieringermeer, au nord des Pays-Bas, aurait consommé en un an pas moins de 84 millions de litres d’eau pour son système de water cooling. En pleine période de déficit hydrique et de mesures de restriction d’eau, une telle consommation a ému les associations et alerté les pouvoirs publics locaux. « Lorsque l’on se projette, il faut que les opérateurs de centres de données se préparent rapidement à investir pour brider la consommation électrique de leurs serveurs informatiques, et donc la climatisation par air cooling ainsi que par water cooling », explique François Salomon, directeur Activité froid climatisation chez Schneider Electric.

Il ajoute que des discussions sont menées entre industriels du secteur et autorités européennes. Outre la question environnementale, un défi technique devra être relevé car les fortes chaleurs de l’été 2023 ont été la cause de pannes qui ont impacté la rentabilité de certains leaders du cloud et de la colocation de salles informatiques.