Le channel face à la révolution IA
L’IA, et spécifiquement l’IA générative, était de toutes les discussions lors de la XVIe édition des Canalys Forums. Les opportunités, les challenges et les risques ont été évoqués, reléguant presque au second rang un sujet aussi sensible que la cybersécurité.
Nov 2023Par Vincent Verhaeghe, à Barcelone
Il n’était pas nécessaire de requérir les prédictions d’un moteur d’intelligence artificielle (IA) générative pour deviner que l’IA serait au cœur des débats des Canalys Forums 2023, rendez-vous incontournable
de l’écosystème indirect de la zone EMEA, qui s’est déroulé début octobre à Barcelone (Espagne).
ChatGPT, Bard, Dall-E et autres HeyGen prouvent que le raz de marée disruptif provoqué par leur révélation au grand public en début d’année fait encore des vagues, y compris dans la sphère B2B. « Si, en tant que dirigeant, nous n’utilisez pas l’intelligence artificielle d’une manière ou d’une autre chaque jour, c’est que vous n’êtes pas efficace pour votre entreprise et que vous la mettez en péril », assène Steve Brazier, CEO de Canalys, aux mille participants représentant des marques, des distributeurs
et des revendeurs.
Utiliser l’IA certes, mais aussi et surtout la vendre. Et dans ce domaine, ce ne sont pas les solutions qui manquent. Selon Canalys, plus de 200 000 ISV dans le monde se sont d’ores et déjà lancés dans la production de solutions basées sur l’IA générative, et ils pourraient être plus d’un million à l’horizon 2030. « Les grands éditeurs actuels revoient leurs plans pour intégrer l’IA, y compris pour leurs propres besoins en termes de marketing, comme c’est le cas, par exemple, avec ServiceNow », souligne Steve Brazier.
Paradoxalement, comme nous le confiait un partenaire français présent lors de l’événement, il y a énormément de solutions qui brandissent l’étendard de l’IA, mais, pour autant, il n’est pas facile d’expliquer aux clients ce qu’on a à leur vendre.
Une problématique qui va au-delà de l’aspect logiciel et touche également l’aspect matériel. Lors de son discours, le patron de Canalys a interrogé successivement les dirigeants de Dell, de Lenovo et de HP pour tenter de cerner ce qu’est un PC IA, mais le portrait-robot du produit idéal n’était pas très explicite. Ces postes clients artificiellement intelligents sont pourtant une réalité et pourraient redonner du lustre à un marché du PC en crise depuis deux ans.
« Tous les fondeurs, que ce soit Nvidia, Intel, AMD ou Broadcom, développent des chips qui accélèrent les traitements d’IA et qui seront sans doute intégrés dans des PC dès 2024. C’est loin d’être un gadget car l’IA réalisée dans un data center est extrêmement consommatrice de ressources, l’objectif est donc de la décentraliser à la fois dans les infrastructures Edge et dans les postes clients », explique William Biotteau, Channel & SMB Director de Lenovo France, un des fournisseurs les plus avancés dans ce champ de recherche.
« L’objectif est de décentraliser l’IA, à la fois dans les infrastructures Edge et dans les postes clients »
William Biotteau, Channel & SMB Director de Lenovo France
Un modèle indirect pour l’IA
Des développements qui sont aussi fascinants qu’inéluctables, et on imagine que, pour les revendeurs, c’est un atout de pouvoir vendre de tels PC ou serveurs Edge. Mais est-ce que l’IA générative sera un catalyseur pour le channel sur le plan du logiciel et du service ? Canalys y croit fortement. « 85 % de la donnée est d’ores et déjà décentralisée, et l’IA ne fera que renforcer ce phénomène et nécessitera de nouvelles compétences pour en tirer parti. Ces compétences, les partenaires IT peuvent et doivent les développer en interne pour servir leurs clients dans ces nouveaux domaines », souligne Jay McBain, un des analystes du cabinet d’études Canalys.
Une piste consiste également à développer le coselling (covente) avec des partenaires spécialisés dans de tels services ; dans ce cadre, ce sont les marques et les distributeurs qui ont un rôle majeur à jouer pour intégrer leurs différents partenaires et les faire travailler ensemble sur des projets globaux d’IA. « C’est une tendance de fond. Aujourd’hui, les entreprises travaillent en moyenne avec sept prestataires IT différents, qui ne sont pas ou peu concurrents car ils sont généralement spécialisés », explique Steve Brazier.
Par un effet miroir, le nombre d’interlocuteurs dans les entreprises augmentent aussi. « L’époque où le prestataire IT ne parlait qu’au directeur des systèmes d’information [DSI] est révolue », résume William Biotteau. Le DSI reste le référent technique, mais on échange également avec le directeur administratif et financier, pour le financement, le président-directeur général, pour les problématiques de RSE, et dorénavant avec les services du marketing, de la R&D et plus globalement les métiers lorsqu’on évoque l’IA, car tous sont directement impactés. Dans cette tour de Babel décisionnelle, la DSI est paradoxalement la partie qui pose le plus de problèmes car elle a parfois le sentiment qu’on la dépouille de ses prérogatives.
Proposer le service
Les Canalys Forums sont une belle occasion de prendre la température du marché de la distribution sur la zone EMEA, et de constater des sourires comme des grincements de dents. Au cours des deux derniers semestres, les grandes marques de la tech et les plus importants distributeurs ont affiché des revenus stables, voire en légère baisse, alors que les gros revendeurs, GSI et corporate resellers en tête, présentent une croissance de l’ordre de 20 % dans la zone EMEA.
Une différence qui s’explique notamment par la part grandissante prise par le service, un domaine dans lequel les partenaires, en relation directe avec le client, sont plus à même de se positionner que les fournisseurs ou les distributeurs.
Sur un marché mondial annuel de l’IT estimé par Canalys à 4 700 millions de dollars, le service représente un tiers de l’ensemble, soit autant que le hardware et le software réunis. « Pour chaque dollar provenant d’une vente à un client, il y a un potentiel de 6,4 dollars de services commercialisables sous des formes diverses, comme le conseil, la mise en conformité, la formation et les services managés, explique Jay McBain. Mais cela demande du temps et des ressources car les clients sont plus exigeants. On considère qu’un acheteur passe par 28 étapes avant d’acquérir une nouvelle voiture. Aujourd’hui, on retrouve ce comportement fractionné dans les entreprises au moment de choisir un nouveau logiciel. »
Les Canalys Forums ont fait la part belle aux conférences et tables rondes, notamment sur l’écoresponsabilité (photo), la cybersécurité ou des prospectives sur l’avenir des programmes Partenaires.
Un marché de l’écoresponsabilité
Des services qui peuvent prendre de nouvelles formes ou cibler de nouveaux domaines, telle l’écoresponsabilité. Les grandes entreprises ont les moyens d’entretenir des équipes dédiées aux problématiques RSE et ESG, mais, pour les PME, c’est un luxe qu’elles ne peuvent pas s’offrir. « Pour les partenaires, c’est une opportunité de se positionner a minima en tant que consultant, et pourquoi pas proposer des solutions qui restent dans leur domaine d’expertise, par exemple la gestion du cycle de vie des produits », explique Elsa Nightingale, analyste en charge de la sustainibility chez Canalys.
Mais le channel doit appliquer à lui-même les bonnes pratiques en matière d’écoresponsabilité. Or, selon le cabinet d’études, seuls 55 % des revendeurs ont une stratégie RSE affirmée. Ceux qui n’en ont pas avancent deux raisons : les investissements nécessaires et l’impossibilité de contrôler l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. D’où l’intérêt des nombreuses initiatives des distributeurs et des marques pour « éduquer » leurs revendeurs. Lenovo a annoncé, par la voix de Virginie Le Barbu, Global Sustainability Director chez Lenovo, la création d’une Sustainibility Academy, mais sans en dévoiler les détails.
L’impact carbone mesuré avec APC
Centré sur l’énergie de par son activité, APC Schneider Electric prend à bras-le-corps les problématiques écoresponsables. Avec, à la clé, une solution non pas matérielle mais logicielle, Zeigo Activate. Proposée en SaaS, cette application permet à chaque responsable d’entreprise de réaliser son bilan carbone en saisissant quelques métriques majeures.
Elle permet en outre de définir des objectifs et fournit les moyens pour les atteindre. Elle peut, par exemple, mettre en relation l’entreprise avec un fabricant de panneaux solaires ou apporter des conseils pour la digitalisation et l’électrification des ressources et des flottes.
Commercialisée 9 000 euros par an, elle est accessible aux partenaires de la marque qui ont non seulement la possibilité de la distribuer mais aussi de commercialiser des conseils et des produits en l’exploitant.